La Liberté ÉDITO

Par Jean-Pierre Dubé

@jeanpierre_dube

La Liberté du 4 décembre 2013

Il y a tout à coup un silence dans l’arène. Un enfant a plongé dans la bande et il reste étendu sur la glace. L’arbitre se penche sur lui. Dans les estrades, les parents qui n’ont cessé de suivre le dossard de leur petit arrêtent de respirer. Sueurs froides. Ils revivent le cauchemar récurrent survenu pas plus tard que la nuit précédente.

Comme sport d’équipe, le hockey est une école de formation qui favorise le développement physique et la motricité. Il apporte les cadeaux de l’amitié, de la discipline et de la pensée stratégique, sans compter l’inestimable apprentissage de vaincre et d’échouer.

L’enfant bouge enfin et on l’aide à s’asseoir. Le voilà debout. Les applaudissements fusent tandis qu’un parent se dirige déjà vers le banc des joueurs. En se demandant pour la énième fois si le moment est venu de retirer sa progéniture de ce sport devenu dangereux.

Chez les peewees AA des Stings d’Ottawa, la saison de 2013 s’est terminée avec un bilan de huit commotions cérébrales sur 17 joueurs et joueuses de moins de 13 ans. Plusieurs cherchent un sport alternatif. Mais comment remplacer le hockey?

Le 25 novembre, 200 anciens joueurs ont entamé un recours collectif contre la Ligue nationale de hockey. Ils affirment que la Ligue ne les a pas protégés suffisamment contre les commotions cérébrales. Qu’elle a pris des mesures pour accélérer le rythme du jeu pour le rendre plus palpitant, sans égard aux conséquences sur la santé des joueurs.
Il y aurait peu de compassion pour ces vedettes qui ont continué à jouer malgré le danger et à récolter des salaires pharamineux. Il reste que le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) a rattrapé ces retraités. Ils déclarent souffrir de douleurs au crâne, de dépression, démence, perte de mémoire et de concentration.

Le mal du hockeyeur imite celui du guerrier. Sauf que le soldat atteint de SSPT arrive comme un étranger, dans l’incompréhension et l’indifférence du gouvernement et du public. Sauf qu’il met parfois en danger sa vie et celle de ses proches. Et pas d’applaudissements.

Incapable de servir son pays, le combattant blessé à l’âme demande de quitter l’armée. Que vaut le diplôme de cette école de la vie, une fois sorti des rangs? Il ou elle doit affronter le marché du travail avec un minimum de préparation et de soutien. C’est un champ de mines. Les conditions de réussite étant très difficiles à réunir, le désespoir s’installe. Dans la culture guerrière, l’incapacité de s’assumer devient intolérable.

En quelques jours à la fin novembre, trois vétérans du conflit afghan ont mis fin à leur vie. On les a honorés avec une minute de tristesse et d’impuissance. On leur avait demandé de se sacrifier, mais pas comme ça. Mourrez en héros au loin mais ne revenez pas nous hanter.

La manchette accablante a côtoyé une victoire des Jets de Winnipeg, dont le logo illustre un avion de chasse. Mais remporter une partie de hockey professionnel, ça demeure l’opium du peuple. On n’a pas gagné la guerre ni guéri les blessés. Où sont les politiciens qui prennent ces décisions? Dans les estrades?

Pour le moment, on entend surtout parler des célébrations militaires à venir. D’abord l’an prochain avec les commémorations des batailles canadiennes durant la Grande guerre. On va dépenser des centaines de millions de $ pour glorifier le patrimoine de nos armées. Et le présent, qu’est-ce qu’on en fait?

Faisons de 2014 l’année des vétérans. Et occupons-nous des vivants.