La Liberté ÉDITO

Par Jean-Pierre Dubé

@jeanpierre_dube

La Liberté du 11 décembre 2013

 

Toute grande cause débute comme un mouvement, se transforme en business et finit par dégénérer en racket. (Eric Hoffer)

Cette citation est une référence utile pour comprendre certains évènements, comme ce moment lors d’une réunion du Comité des finances du Sénat.

Le Comité est présidé par Irving Gerstein, l’administrateur du fonds de dépannage du Parti conservateur du Canada. Le sénateur est cité dans une enquête policière pour son rôle dans une tentative d’influencer un audit sur les dépenses suspectes du sénateur Mike Duffy.

Le 5 décembre, la majorité du Sénat a bloqué une proposition invitant le vérificateur de la firme Deloitte à donner sa version des faits. Lorsque qu’on demande au président Gerstein de céder sa place pour la durée de l’enquête, compte tenu des allégations pesant contre lui, il prend un moment pour réfléchir avant de rétorquer. « Je déclare la motion hors d’ordre ».

Gouvernements, entreprises ou clubs sociaux oscillant entre business et racket ont ce type de comportement. On l’a vu noir sur blanc avec le gouvernement libéral précédent, grâce aux travaux de la Commission Gomery sur le scandale des commandites. On le voit ad nauseam à Montréal avec la Commission Charbonneau sur la construction. Et si on est chanceux, on aura une commission d’enquête sur le camouflage du scandale du Sénat.

Ce comportement est marqué par le contrôle obsessif de l’appareil public, le manque de transparence et de reddition de comptes, le refus de se soumettre aux questions et de répondre aux demandes d’accès à l’information, le droit arrogé de se maintenir au pouvoir par tous les moyens, de briser les règles et de les changer au besoin, de saccager la texture nationale en cachette avec des lois omnibus, de pratiquer le favoritisme politique, d’enfouir les documents compromettants, de couper les subventions aux détracteurs, de museler ses propres membres et de nier toute responsabilité quand ça tourne mal.

Tout mouvement peut avoir de bonnes raisons de se transformer en entreprise et la décision se prend ouvertement. Quand un organisme ajoute à son mandat le service public, la population est souvent mieux servie, comme en matière de langues officielles. Dans les circonstances, il peut y avoir une tension quant à son autonomie politique.
À titre d’exemple, lorsque la Fédération des parents du Manitoba a obtenu par voie juridique la reconnaissance du droit à la gestion scolaire, elle a mis sur pied une administration pour offrir le service. Elle a continué comme mouvement et conservé son indépendance.

Face à la possibilité de devenir une extension administrative, l’Association des juristes d’expression française du Manitoba a récemment décidé de privilégier sa mission originelle de revendication des droits. Ce choix peut coûter cher. Mais comme l’a écrit et chanté Richard Desjardins, quand on ne se laisse pas abuser, on est « déjà millionnaire ».

La transition entre business et racket est une œuvre de coulisse. Elle se produit dans le climat actuel quand un gouvernement exige une entière loyauté en échange d’une aide financière. Ce n’est pas nouveau mais d’une ampleur jamais vue dans le milieu associatif. L’organisme ayant conclu à huis clos un pacte de silence est reconnaissable par des signes. Peut-il servir à la fois le pouvoir et ses membres?

Au Parlement canadien, la dissidence commence à émerger à l’intérieur du parti gouvernant dans les deux chambres. Le vent commence-t-il à tourner? Espérons-le.
Au Manitoba français, des organismes résistent au modèle dominant. Ces voix discordantes privées de moyens appropriés ont besoin de notre appui continu. Donnons-le.