L’Alberta n’est pas obligée de publier ses lois en français, ont déclaré les trois juges de la Cour d’appel de la province. Or la cause Caron n’est pas morte, et pourrait même être présentée à la Cour suprême du Canada.

Aimée Craft
Aimée Craft

L’Alberta n’est pas obligée de publier ses lois en français, ont déclaré les trois juges de la Cour d’appel de la province. Or la cause Caron n’est pas morte, et pourrait même être présentée à la Cour suprême du Canada.

 

La décision maintient le statut unilingue anglais de la province, déclaré en 1988, et a des répercussions sur le statut constitutionnel du français en Saskatchewan – qui s’est également déclarée anglaise en 1988 – les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut et une partie du Labrador. Par conséquent, les coappelants ont manifesté leur intention de porter cette cause devant la Cour suprême du Canada.

Depuis la décision, de nombreux organismes francophones ont exprimé leur déception, ainsi que leur désir de voir avancer la cause Caron.

« Ce qui est en jeu avec ce dossier juridique, c’est la place du français dans trois provinces et deux territoires, déclare la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), Marie-France Kenny. C’est une question qui devrait être tranchée une fois pour toutes par la Cour suprême du Canada. »

Même son de cloche chez le président-directeur général de la Société franco-manitobaine (SFM), Daniel Boucher.

« C’est toujours déplorable quand une décision comme celle-ci ne permet pas à la cause francophone d’avancer, mentionne-t-il. On comprend alors que l’ensemble des communautés francophones appuie les coappelants. Et, bien que la SFM n’ait pas de position officielle sur la décision, puisqu’elle ne touche pas directement le Manitoba, nous continuons de discuter de la situation avec des représentants de la FCFA. »

Toujours est-il que la cause Caron fait écho de l’affaire Forest, cas juridique célèbre qui a permis au Manitoba de rétablir son statut de province bilingue, en 1979. En fait, comme l’avait fait Georges Forest, Gilles Caron conteste une contravention rédigée uniquement en anglais.

On se rappellera que depuis 2003, Gilles Caron et ses avocats cherchaient à démontrer que le respect des droits linguistiques des francophones était une des conditions préalables à l’entrée, en 1870, des Terres de Rupert – aujourd’hui l’Alberta, la Saskatchewan, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut et une partie du Labrador – dans la Confédération canadienne.
Les avocats maintenaient que la reconnaissance des droits linguistiques des Métis, lors de la création du Manitoba, s’appliquait à toute l’étendue des Terres de Rupert. Par conséquent, les appelants demandaient que la Loi linguistique de l’Alberta soit déclarée nulle, et que les lois de la Province soient imprimées et publiées en français et en anglais.

Pour sa part, l’avocat qui a dirigé le cas de Georges Forest, Alain Hogue, estime que l’argument de base de la cause Caron s’avère « plus difficile à avancer que celui de 1979 au Manitoba ». 

« L’article 23 de la constitution manitobaine établissait, dès 1870, que la province était censée être bilingue, rappelle-t-il. Louis Riel avait bien fait son travail et, par conséquent, il a été relativement facile pour le cas Forest de rétablir le bilinguisme, qui avait été renversé de manière anticonstitutionnelle en 1890.

« La difficulté de la cause Caron, c’est que les autres territoires ne sont pas devenus provinces en 1870, poursuit-il. Il s’agissait de territoires. Ceux qui ont élaboré, en 1905, les constitutions provinciales de l’Alberta et de la Saskatchewan, n’ont pas inclus des droits linguistiques garantis. Cela ne veut pas dire que la Cour Suprême tranchera automatiquement en faveur de l’Alberta, mais que les avocats ont plus de travail devant eux pour établir que les droits linguistiques sont valides, en vertu de leur caractère historique. »

La présidente de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba (AJEFM), Aimée Craft, estime que « la protection des droits des minorités est un des principes qui sous-tendent la Constitution canadienne ».
« J’ai l’impression que les avocats de Gilles Caron obtiendront l’autorisation des juges de la Cour suprême du Canada de faire entendre leur appel, étant donné l’importance des droits des minorités, déclare-t-elle. Le contexte légal a beau être différent de celui de l’affaire Forest, l’argument que les droits linguistiques faisaient partie du transfert des Terres de Rupert au Canada vaut la peine d’être bien exploré. On peut certainement avancer que des promesses ont été faites aux résidants des Terres de Rupert.

« Entre-temps, l’AJEFM a mis sur pied un comité pour revoir la décision de la Cour d’appel de l’Alberta, parce qu’elle soulève la question des droits linguistiques, qui sont des principes qui nous intéressent et qui concernent les Manitobains, conclut Aimée Craft. On pourrait possiblement même intervenir dans le dossier. Ça reste à voir. »

Daniel BAHUAUD