Par Jean-Pierre Dubé
La Liberté du 26 mars 2014
Stephen Harper voudrait mener la société canadienne dans un virage à droite. Il a nommé cinq conservateurs à la Cour suprême depuis 2006. Le premier ministre estime que le plus haut tribunal a été infesté de penseurs libéraux soumis aveuglement à la Charte canadienne des droits et libertés. Et même si le haut tribunal résiste à la manipulation, il récidive.
Vic Toews serait-il le prochain? Le champion de la ligne dure contre le crime a été ministre de la Justice à Winnipeg et à Ottawa. Stephen Harper l’a nommé à la Cour du banc de la reine au Manitoba le 7 mars, moins d’un an après son départ du cabinet conservateur. Prépare-t-il pour 2015 un siège au plus haut tribunal pour son ancien ministre de la Sécurité publique?
Mais le premier ministre frappe des murs. Des récents jugements montrent que la Reine lui rend le virage dangereux. En décembre, la Cour suprême a unanimement invalidé trois lois fédérales sur la prostitution qui, selon elle, mettaient en danger la vie des travailleurs du sexe. Elle a accordé un an au gouvernement pour trouver une solution.
Le 20 mars, le tribunal a reconnu qu’une disposition rétroactive, empêchant la libération conditionnelle des contrevenants non-violents, constituait une violation de leurs droits constitutionnels. Il s’agit d’une rebuffade de la loi concoctée par l’ancien ministre Toews que des tribunaux de première instance refusent d’appliquer. Et ça continue.
Le Canada serait le nouveau champion de l’hémisphère dans la lutte contre les stupéfiants. Le président Barack Obama a adopté une position de laisser faire et l’administration américaine, républicains en tête, se prépare à réduire de moitié les peines minimales obligatoires pour les trafiquants. Dur coup pour l’industrie carcérale! Le gouvernement canadien poursuit néanmoins dans le sens contraire : le pays compte présentement un record de 117 000 prisonniers.
Comment réagiront les tribunaux? La Cour fédérale a décrété le 21 mars une injonction permettant aux 35 000 consommateurs accrédités de continuer à cultiver de la marijuana pour fins médicales. Ottawa ne veut pas que le stash des malades alimente la contrebande. Mais la mise en œuvre de la nouvelle loi devra attendre l’issue d’un recours constitutionnel.
Le même jour, la Cour suprême a rejeté la nomination de Marc Nadon parce qu’elle ne respecte pas les critères pour y siéger comme représentant du Québec. C’est la première fois dans l’histoire que le tribunal statue sur la nomination d’un de ses membres. Selon la Cour, l’accord du Parlement et des législatures est nécessaire pour changer les critères, invalidant l’amendement imposé aux Communes l’automne dernier.
Dans un moment critique, au beau milieu des élections québécoises, la Cour suprême vient couper l’herbe sous les pancartes des souverainistes. Elle réaffirme la place de la société distincte au sein de la fédération et répare habilement l’affront au Québec de la nomination injustifiable de Nadon.
Ce jugement est aussi annonciateur de la réponse attendue du tribunal aux questions de Stephen Harper sur la réforme du Sénat. Peu importent les couleurs politiques de ses membres, nul doute que la Cour suprême défendra l’intégrité de la Constitution. Elle a déclaré son indépendance.
Marc Nadon a aussi laissé son bâton dans les roues, en reconnaissant que le bilinguisme des cours supérieures constitue l’idéal. Stephen Harper aurait préféré se passer de cet avis. Son prochain candidat à la Cour suprême est un parfait exemple de langue et de pensée uniques.
Mais tout n’est pas perdu pour le nouveau juge. S’il est nommé à la Cour suprême, Vic Toews devra laisser ses préjugés à la porte, s’il n’en a pas déjà été dépouillé en entrant à la cour manitobaine. C’est une chose de faire campagne dans les 24 églises de Steinbach et une autre de frayer au quotidien avec les plus grands juristes canadiens.
La culture interne de la Cour suprême est affirmée. Les neuf juges sont au service des principes fondamentaux de la Constitution : fédéralisme, démocratie, respect des minorités, constitutionnalisme et primauté de droit. Ce n’est pas un oasis pour la ligne dure.
Mais qui sait! Est-ce qu’on verra un jour le meilleur de Vic Toews? Quant à Stephen Harper, c’est dans l’opposition qu’il était à son meilleur.