La Liberté ÉDITO

Par Jean-Pierre Dubé

@jeanpierre_dube

La Liberté du 23 avril 2014

« L’ombudsman n’a reçu aucune plainte officielle en 2011, 2012 ou 2013. »

Telle est la conclusion des 20 pages du Rapport sur le respect des obligations de la Ville de Winnipeg en matière de services en français, de la coordonnatrice intérimaire des services en français, Charlene Koniak, présenté le 16 avril au Conseil municipal. On peut se plaindre à un ombudsman?

Mel Holley est un one-man-show au Manitoba. Avec un personnel de 30, il est responsable de défendre le citoyen contre les injustices de toutes les administrations publiques, incluant Winnipeg. Aucune mention de services en français ne paraît dans son dernier rapport.

L’absence de plaintes en vertu de la Partie IX de la Charte de Winnipeg est-elle un bon signe? Pour comparer, le Secrétariat aux affaires francophones du Manitoba a enregistré six plaintes en 2012-2013, battant son plus bas record de 15. L’équivalent fédéral, le Commissariat aux langues officielles (CLO), en a reçu 415 l’an dernier.

Le fédéral, le provincial et le municipal se côtoient dans le premier centre tripartite de services bilingues au Canada, rue Des Meurons. Mais ce ne sont pas des égaux. Le plus performant serait Service Canada (SC), du moins à l’échelle nationale, selon un rapport du CLO rendu public au début avril.

SC a fait l’objet de 15 plaintes l’an dernier, sur un total de 175 depuis 2006. Premier contact en matière de services bilingues, il est responsable au quotidien des communications avec le citoyen. L’institution a mis en œuvre six de sept recommandations faites par le commissaire en 2010 et s’est engagée à remplir jusqu’au bout toutes ses obligations. Le CLO peut mener des enquêtes et, au besoin, des actions en justice contre les délinquants. Comme Radio-Canada et Air Canada récemment. La Loi sur les langues officielles a les dents longues.

Le plaignant ontarien Michel Thibodeau a rappelé l’essentiel. « Si Air Canada viole mes droits et que je rentre chez moi en me disant “bon, ils ont violé mes droits, il n’y a rien à faire”, puis que le mois d’après, je reprends l’avion et ils violent encore mes droits, bien à ce moment, ce droit n’existe pas. »

Des conditions doivent être réunies pour se plaindre. On doit avoir confiance qu’au sein de l’appareil gouvernemental, une autorité peut développer des solutions systémiques. Trois juridictions ont développé cette capacité avec un ombudsman linguistique pleinement habilité, peu importe qui est au pouvoir.

Le Canada, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick sont assez engagés envers leur minorité francophone pour établir une approche de tolérance zéro. Les Acadiens et les Ontariens se plaignent beaucoup présentement et ils progressent à grands pas. Le droit existe.

Les services bilingues du Manitoba sont moins bien pourvus, confirme le rapport de Winnipeg. La Ville s’accorde d’excellentes notes de français pour la documentation officielle, les communications, le site Web, l’affichage et les services de bibliothèque. L’an dernier, 776 citoyens ont participé à des programmes aquatiques et de loisirs en français. Le principal défi demeure la réponse du personnel de police, d’ambulance et d’incendie.

« Les services continueront à faire valoir l’embauche de personnes bilingues, soutient le rapport, tant qu’ils n’auront pas tout le personnel bilingue voulu pour se conformer aux exigences du Règlement municipal. » Winnipeg ne s’engage pas dans le quand ni le comment. On comprend que le respect des obligations peut attendre. Que le Règlement, comme la Charte, n’a pas de dents.

Alors à quoi sert de stigmatiser le citoyen qui ne demande pas et le fonctionnaire qui n’offre pas de service en français? Pourquoi consulter la communauté francophone sur ses besoins, comme l’a décidé le Conseil municipal?

C’est d’autant plus inutile que le bureau des finances a donné son aval : « There are no financial implications with respect to the Recommendation ». Pourquoi se plaindre? On est dans la logique des conséquences zéro. Le droit existe-t-il?