La Liberté ÉDITO

Par Jean-Pierre Dubé

@jeanpierre_dube

La Liberté du 30 avril 2014

 

Il n’y a rien de plus dévastateur pour le citoyen d’une démocratie que de découvrir que la personne à qui il a confié le pouvoir méprise la démocratie.

Le philosophe John Saul a ainsi décrit la réaction à l’expression échappée par l’ancien premier ministre Brian Mulroney, « un coup de dés », sur comment il concevait les négociations constitutionnelles du lac Meech.

On y revient, 25 ans plus tard. Les Canadiens viennent de se faire manipuler à une grande échelle par un premier ministre parfaitement conscient des principes fondamentaux et des processus d’amendement de la Constitution. Stephen Harper a néanmoins tenté de faire croire pendant des années qu’il pouvait procéder unilatéralement, refusant l’incontournable discussion avec les Provinces.

Les deux options étaient bonnes pour lui. Abolir le Sénat lui aurait permis de renforcer le contrôle de l’exécutif. Avec une majorité servile aux Communes, pourquoi s’encombrer d’une Chambre haute? Le Sénat réformé et élu, Stephen Harper n’aurait pas craint la compétition entre les deux chambres. Son empire sur les deux aurait été renforcé. Pour le Bureau du premier ministre, c’est encombrant un Parlement.

Lorsqu’il s’est enfin résigné à demander un avis de la Cour suprême, le premier ministre a attendu d’avoir une majorité de conservateurs dans les deux chambres et à la Cour suprême. Débouté à l’unanimité le 25 avril par les juges qu’il a nommés, il blâme maintenant les Provinces. Un jour, il blâmera les électeurs.

On a vu, la même journée, le ministre de la Réforme démocratique reculer sur le fonds de son projet de loi électorale. Un consensus national de tous les milieux, incluant des conservateurs, s’est développé pour condamner les éléments du projet qui auraient favorisé le parti au pouvoir lors de prochaines élections.

En bon homme de main, Pierre Poilievre s’était appliqué à discréditer l’officier électoral chargé de défendre les droits de l’électeur. À toutes les occasions depuis 2006, l’exécutif du gouvernement s’est évertué à miner l’indépendance des officiers du Parlement. Pourquoi l’élu partagerait-il le pouvoir avec un non élu?

Ce premier ministre est-il au service du citoyen? Stephen Harper a mené impitoyablement son agenda politique. Sa domination doit être totale. Sa principale stratégie est d’écarter, sinon de contrôler ou de discréditer les indépendants.

Juges, députés des deux côtés, sénateurs, commissaires et fonctionnaires, communautés scientifique et universitaire, défenseurs de l’environnement, artistes, journalistes et minorités. Une ambiance d’intimidation s’est répandue.

La Cour a remonté les bretelles du premier ministre cinq fois en autant de semaines, gentiment comme on fait avec un jeune délinquant. Elle a dit ‘’non’’ à son unilatéralisme. Parce que la démocratie est la culture du multilatéral, faite de questionnements, débats et désaccords. On doit tenir compte des contraires, contraintes, contrastes et contradictions. Le Canada est trop compliqué pour M. Harper. Offrons-lui d’administrer une prison.

Le ministre Poilievre a fourni une perspective unique sur la pensée de son chef. Il a eu cette phrase éloquente citée dans Le Devoir : le gouvernement chercherait « à réduire les coûts du Sénat et à le rendre plus responsable ». N’est-ce pas en effet le réflexe de Stephen Harper?

Les communautés francophones sont tombées dans le rang. Comme d’autres minorités, elles font l’objet de coupures à la limite du tolérable au sein du cadre juridique. La Cour suprême leur offre un secours. Elle rappelle le rôle critique du Sénat quant au respect des minorités, un des quatre principes fondamentaux de la Constitution. La décision tombe en plein milieu de négociations entre Patrimoine canadien et les organismes porte-paroles.

L’arrogance du premier ministre nous pousse à nous interroger sur les enjeux de la démocratie chez nous. Est-on assez informé, curieux et autonome pour contribuer?

C’est un bon moment pour le Canada quand la Cour suprême demande au premier ministre de respecter la Constitution.

Ainsi parlait la sénatrice Pierrette Ringuette, le 25 avril.