Par Jean-Pierre Dubé
La Liberté du 28 mai 2014
La victoire de l’Autrichien Conchita Wurst au concours Eurovision, le 10 mai, aurait poussé les dieux de la vengeance au bout de leur corde. Quelques grands prêtres outrés ont blâmé le travesti barbu pour les inondations aux Balkans, qui ont fait 50 morts et des milliers d’évacués.
Des glaciers se sont sans doute mis à fondre, au début avril, lorsqu’un 3e sexe a été reconnu par le tribunal suprême de l’Australie. La Cour a invalidé l’obligation d’inscrire un citoyen uniquement comme homme ou femme sur les certificats de naissance, de décès et de mariage. Le transsexuel Norrie May-Wellby est le premier au monde à obtenir la neutralité sexuelle.
Chez nous, personne n’a encore mis l’hiver le plus froid de l’histoire récente sur le dos des transgenres. Un projet de loi manitobain présenté le 25 avril leur permettrait d’obtenir une reconnaissance officielle de leur changement de sexe avant même de passer par la transformation chirurgicale.
La Liberté du 21 mai a présenté la situation d’un transgenre qui attend la promulgation de la loi pour demander de nouvelles cartes d’identité. Josh en devenir de Jailyn Hanson souhaite la reconnaissance de son identité sexuelle par un F sur son permis de conduire. Mais son orientation sexuelle ne change pas : comme Josh, Jailyn est attirée par les femmes.
On se retrouve sur un terrain qui défie toute catégorisation. Chacun peut choisir de se transformer en homme ou femme et s’habiller à sa guise, même si l’attraction n’est pas un choix. Cette réalité envahit la fiction courante.
Dans le film français La Vie d’Adèle (2013), d’Abdellatif Kechiche, la jeune femme se découvre une passion singulière. L’attraction qui consomme Adèle n’est pas orientée envers un sexe plus que l’autre, mais pour une personne : Emma. Son identité sexuelle demeure au second plan.
Le Laurence et la Fred du film québécois Laurence Anyways (2012), de Xavier Dolan, forment un couple très amoureux. L’enseignant annonce à sa conjointe qu’il veut devenir une femme et un jour, il se présente à l’école habillé et maquillé en conséquence. L’orientation sexuelle de Laurence n’a pas changé mais l’identité de Fred se trouve remise en question.
Puis il y a le film français Les Garçons et Guillaume à table (2013), de Guillaume Gallienne. Le héros est le cadet de trois garçons d’une famille qui l’a toujours identifié comme gay. La mère de Guillaume l’a élevé comme une fille et lui-même s’identifie au féminin. Mais comment savoir quelle est son orientation sexuelle? Il se soumet à l’épreuve de l’attraction.
La bande dessinée manitobaine web Lovelys (2014), d’Alexis Flower, est un « opéra vaguement pornographique » se déroulant dans un club de nuit au bout de l’espace. Les identités des personnages, autant synthétiques qu’humains, sont ambigües et éclatées. Diverses satisfactions sont programmées, intenses et inusitées.
Entre les choix et les attractions multiples, les générations montantes forgent des identités personnelles. Souvent dans l’angoisse de la prise de conscience et la peur d’être stigmatisé et persécuté. Mais toujours dans l’urgence de vivre dans la cohérence.
Signe de déclin de la civilisation? Au contraire, les manifestations de l’identité, sexuelle et autres, se déclinent maintenant à l’infini. Elles font reculer la pensée unique et le noir sur blanc. En effet, le climat a changé.