Pourquoi est-il possible de tenir des « États généraux de la francophonie manitobaine » en 2015 au Manitoba?

La réponse en très concentré? Les maîtres absolus du Manitoba depuis les années 1890, souvent viscéralement anti-catholiques, sous-estimèrent la volonté de résistance des prêtres canadiens-français et de leurs ouailles.

Un protestant orangiste ou un franc-maçon bon teint ne mesurait sans doute pas à quel point le quasi-dogme voulant que « Hors de l’Église, point de salut » soutenait la motivation des pasteurs catholiques désireux de ne perdre aucune brebis du troupeau.

À ces fausses certitudes théologiques, évacuées lors du Concile œcuménique Vatican II, s’ajoutait un ingrédient peut-être tout aussi puissant : la fierté du Canadien français qui s’était aventuré jusque dans l’Ouest, portant la conviction des privilèges de sa « race ». La conviction d’appartenir à une « race », selon le mot de l’époque, assurait la solidarité devant l’ennemi. C’est le temps de la grande famille canayenne. Blood is thicker than water, dit le proverbe anglais.

Ces certitudes permirent de mettre sur pied en 1916 l’Association d’Éducation des Canadiens français du Manitoba dont la raison d’être était de veiller à l’enseignement illégal du français. La colonne vertébrale de l’effort éducatif était constituée d’une bonne douzaine de communautés religieuses qui se sont vouées corps et âme à leur mission sacrée. (*)

L’avènement de la radiodiffusion dans les années 1920, dont la fascination sur les esprits prit vite des proportions aujourd’hui inimaginables, aurait aussi pu être fatal à la volonté tant patriotique que religieuse de maintenir une présence vivante du Canada français dans l’Ouest.

Au Manitoba, la réponse à l’étouffement du français par les ondes anglophones intervint en 1946 avec l’arrivée de CKSB, petit poste privé dont la venue au monde a relevé d’une espèce de miracle, tant les ennemis de l’élément français étaient nombreux et puissants. Il fallut tout le poids du clergé canadien-français du Québec et l’influence souterraine d’une organisation quasi secrète, l’Ordre de Jacques-Cartier, pour faire pencher la balance.

Toutefois la modernité galopante qui a succédé à la Deuxième Guerre mondiale et atteint de plein fouet le monde religieux a sérieusement ébranlé le projet d’avenir canadien-français au Manitoba. Le moteur de la religion ne suffisait plus pour tracer un avenir. D’autant plus qu’au Québec, les forces de séparation enterrèrent l’idée de la grande famille canadienne-française aux États généraux du Canada français en 1967. Les Canayens des autres provinces étaient menacés d’étouffement.

Pour les Manitobains, la preuve était faite que le socle des luttes axées sur la nation canadienne-française n’est pas la plus solide des fondations. Il leur reste à bien comprendre que les aspirations canadiennes-françaises s’étaient greffées sur une province née métisse, voulue pour assurer le respect de tous, mais d’emblée highjackée par les orangistes de l’Ontario.

L’avenir du bilinguisme dans la société manitobaine doit reposer sur l’esprit même qui a engendré la Province du Manitoba. Cet esprit métis, qui a assuré l’unité au sein de la Colonie de la Rivière-Rouge face au Canada lors de la Résistance de 1869-1870, est fondé sur la solidarité humaine, solidarité qui dépasse toutes les considérations de « race », de langue et de religion, dépasse tout réflexe de séparation, de division, du style « nous contre eux ».

Pour porter des fruits d’avenir, les participants aux États généraux doivent en prendre conscience, puis faire renaître l’Esprit du Manitoba, déjà en germe dans bien des esprits, particulièrement chez les jeunes.

Un esprit d’unification, du vivre ensemble, du respect des différences qui se moque bien de toutes les catégories, étiquettes et autres boîtes dans lesquelles les experts et les pouvoirs cherchent à caser toute une palette d’humains qui, pour une multiplicité de raisons personnelles, ne peuvent imaginer être unilingues anglais au Manitoba.

(*) Citons au moins pour mémoire les Sœurs grises, les Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie, les Filles de la Croix, les Sœurs Oblates, les Sœurs du Sauveur, les Sœurs de Saint-Joseph de Saint-Hyacinthe (dans les coins les plus pauvres), les Sœurs de Notre Dame des Missions, les Sœurs de la Présentation, les Sœur Franciscaines de Marie, les Ursulines, les Jésuites, les Oblats de Marie-Immaculée et les Marianistes.

Bernard BOCQUEL