Par Bernard Bocquel
La Liberté du 08 juillet 2015
Sous le titre « Une communauté unie dans la diversité », La Liberté publiait dans l’édition du 24 juin, jour de la Saint-Jean-Baptiste, – tout un symbole en soi – une Tribune libre signée par René Fontaine, Gérald Labossière, Raymond Lafond et Réal Sabourin, quatre personnes profondément liées au Manitoba français.
Quatre personnes engagées ayant gagné leurs épaulettes depuis belle lurette, et qui ne pouvaient pas rester à l’écart des États généraux de la francophonie manitobaine. Quatre personnes qui, dans le monde métis et autochtone, seraient amenées à porter, avec toute l’humilité requise, le titre d’aîné, d’elder, de sage. Leur Tribune libre était la synthèse d’une assez longue lettre adressée au conseil d’administration de la Société franco-manitobaine ; lettre ouverte dont l’objet était de « proposer quelques suggestions à la SFM pour faire en sorte que son projet d’avenir desserve encore mieux la communauté francophone du Manitoba ».
Les quatre signataires sont convaincus que pour atteindre cet objectif, l’avenir de la communauté francophone ne doit surtout pas être envisagé comme une fin en soi. L’avenir n’existera que s’il est fondé sur l’ouverture aux autres et la solidarité humaine : « Nous aimerions que la francophonie manitobaine ne se distingue pas uniquement sur le plan de la langue, mais aussi grâce à un projet de société qui saurait inspirer tous les Manitobains. »
Ces messieurs n’hésitent pas à donner un sens universel à l’extraordinaire masse d’efforts fournis par le fond francophone pour assurer son existence dans la Province du Milieu : « Nous sommes convaincus qu’il serait possible pour la francophonie d’initier un mouvement qui saurait inspirer non seulement nos concitoyens du Manitoba, mais également tous les Canadiens et, par extension, l’humanité dans son ensemble. »
Cette haute conviction est tirée de l’histoire même du Manitoba français : « On n’a qu’à se rappeler des grands jalons de notre passé pour déterminer la voie à suivre. Que ce soit dans la lutte pour la reconnaissance du fait français au Manitoba, l’établissement de soins de santé et d’éducation, la prise en main de notre avenir économique ou la mise sur pied d’œuvres caritatives qui répondent aux besoins les plus essentiels de nos concitoyens, il y a un fil commun qui est le fondement de tous nos succès du passé dans chacun des secteurs d’activités. »
Ce fil commun, estiment les quatre auteurs de la lettre ouverte à la SFM, se révèle dans une idée force : l’esprit communautaire. « Le sens de communauté et de solidarité humaine, mis en œuvre pour le bien-être de l’ensemble, est au cœur même de tous nos plus grands succès. Cela s’est toujours illustré par l’entraide et par le don de soi. »
Pour bien souligner que l’idée de communauté est indissociable – sinon de l’Esprit, du moins d’un esprit -, René Fontaine, Gérald Labossière, Raymond Lafond et Réal Sabourin ajoutent : « Mentionnons, à titre d’exemple, l’apport dévoué du clergé et des religieuses qui se sont donnés cœur et âme pour assurer l’épanouissement des francophones. Nos grandes institutions dans le monde de la santé, en éducation et en communications ont toutes été fondées grâce à l’apport de prêtres et des communautés religieuses qui ont consacré leur vie au bien-être de la communauté. »
Toutefois à la mise sur pied de la SFM à la fin des années 1960, le jeune leadership franco-manitobain, par réaction à une élite jugée trop cléricale, s’était franchement dissocié des religieux et du religieux. Il ne restait alors à peu près plus personne prêt à admettre le vieux slogan imprimé dans les têtes de plusieurs générations, à savoir que la langue était gardienne de la foi. Or la langue française, ce n’était que trop clair, fonctionnait indépendamment de la foi catholique au Manitoba.
Mais s’il est indiscutable que la langue française au Manitoba peut fort bien se passer du catholicisme pour rester vivante, la puissance de la langue en revanche demeure directement dépendante des qualités spirituelles de ses locuteurs. Une vérité qui paraît a priori valable pour toutes les langues et à toutes les époques. Car au fond, que vaudraient des mots s’ils n’étaient pas animés par un esprit ? Ne dit-on pas en français d’une personne qui sait faire vibrer les mots de profonde manière qu’elle a de l’esprit ?
Il ne reste plus qu’à souhaiter beaucoup d’esprit aux leaders qui vont développer un projet pour la communauté francophone dont le contenu soi à même d’amplifier la raison d’être du Manitoba. Ce projet, et c’est là sans doute le message essentiel des quatre aînés/elders, doit impérativement contribuer à vivifier la société manitobaine. Le simple but de faire survivre une langue, fût-ce au nom du bilinguisme, ne saurait constituer un idéal en soi.