La Liberté ÉDITO

Par Bernard Bocquel

[email protected]

La Liberté du 15 juillet 2015

Par ces temps d’États généraux, de réflexion, d’espoirs pour l’avenir et donc surtout de besoin de leaders et de leadership, il est opportun de se pencher sur le travail exceptionnel accompli par feu Gabriel Dufault dans la sphère métisse canadienne-française.

Il a été donné à Gabriel Dufault de mourir entre deux jours de pluie, un très ensoleillé 18 juin 2015, cette année jour du pique-nique annuel de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba. L’ancien président de l’organisation, dont il a été le fer de lance de la renaissance entamée au tout début du XXIe siècle, a ainsi eu le privilège d’être dans toutes les têtes, et surtout dans tous les cœurs des pique-niqueurs.

Cela faisait déjà plus de trois années qu’il devait lutter au quotidien. La vie de cet homme à la jovialité et l’enthousiasme contagieux avait basculé le dimanche matin 18 mars 2012. Alors qu’il avait déjà attaché sa ceinture dans l’avion qui devait l’emmener à Ottawa pour des rencontres avec des fonctionnaires fédéraux, Gabriel Dufault subit un accident vasculaire cérébral.

Pour l’Union nationale métisse, le drame se produisit à un moment symbolique dans son histoire. En effet, l’essentiel des forces de ses bénévoles était déjà engagé vers la réussite d’ambitieuses célébrations pour marquer en grand le 125e de la doyenne des organisations francophones du Manitoba. Tous les membres actifs étaient bien conscients que le renouveau enclenché en 2002 était largement dû aux efforts de Gabriel Dufault, épaulé par sa femme Jeannine. Ils puisèrent alors énergie et inspiration dans l’engagement modèle de leur président et réussirent en beauté les fêtes du 125e.

L’engagement aura été l’une des lignes de forces de la vie de Gabriel Dufault, qui participa dès un jeune âge au mouvement scout animé par l’Église catholique. Le louveteau se forgea dans un milieu où le sens des valeurs était inculqué avec constance. Cette atmosphère fondée sur l’entraide fera de lui, une fois jeune adulte, une des figures centrales de la Relève franco-manitobaine, un mouvement enclenché au début des années 1960. Son parcours professionnel commença dans le monde coopératif à Calgary.

La fortune d’un grand cœur était dans ces années-là sa seule fortune. Sur son lit d’hôpital, à quelques semaines de son décès, disposant de toutes ses facultés intellectuelles, Gabriel Dufault voulut bien se remémorer. « À Calgary on était très pauvre. Mon temps de loisir, je le passais à ramasser des bouteilles. La consigne était dix cents. Une fois, j’en ai eu pour 47 $ dans la voiture. » Son cheminement professionnel le conduisit par la suite à Swan River, où il devint gérant de la Credit Union. Là il connut cinq années de bonheur. « On avait un domaine à Swan River. On avait des animaux. Des chevaux. Des bœufs. On plantait des fleurs, des arbres fruitiers. J’en garde une grande fierté. »

Mais à n’en pas douter, une plus grande fierté l’envahit un jour de 1995, lorsque Alfred Fortier, le directeur général de la Société historique de Saint-Boniface, un passionné de généalogie, lui fournit la preuve formelle de soupçons qu’il nourrissait depuis longtemps. Soupçons qui émergeaient à la surface de sa conscience sous forme d’interrogations presque anodines : « Comment ça se fait que j’aime tant être dans le bois ? Pourquoi grand-mère Forest a-t-elle le teint tellement foncé ? » Lorsque Gabriel Dufault se découvre métis, son tempérament de passionné naturellement attiré par l’histoire le poussa alors à plonger dans les livres pour conquérir un passé occulté par des ancêtres honteux d’être qui ils étaient.

Esprit résolument positif, il ne s’abandonna à l’inéluctable que peu de jours avant son décès. Alité à l’hôpital depuis des mois, il continua presque jusqu’au bout à tramer des projets. « Je fais des plans pour quand je serai mieux. J’irai à la pêche, avec mon fils et mon petit-fils. J’irai à Montréal avec Jeannine, et on continuera jusqu’à Québec, parce que Jeannine a jamais vu Québec. Et puis j’irai planter des fleurs sur la tombe de mes grands-parents Forest à La Salle. Je prévois des marigold, avec des dusty miller, moitié-moitié. Ça fera un beau contraste. Au milieu je mettrai un gros F en gueule-de-lions. Ça c’est les snapdragons. Et un gros dahlia à la tête et au pied. Un rouge, parce que grand-père était fort libéral. »

Mélange de poésie, d’humanité, d’intensité, de fidélité, l’homme aux grands yeux bleus aura grandement contribué à amplifier la voix des Métis canadiens-français à un moment important de l’histoire du Manitoba français. Peut-être même à un moment historique, si de nouveaux chefs émergent pour refonder ce qu’il est pour l’instant encore convenu d’appeler la communauté franco-manitobaine. L’héritage de Gabriel Dufault devrait en tout cas assurer que les Métis francophones contribuent pleinement au nouvel avenir qui s’esquisse.