La Liberté ÉDITO

Par Bernard Bocquel

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La Liberté du 19 août 2015

Il s’agit sans doute d’une grande première dans le monde de la culture, en tout cas au Manitoba : un aperçu de l’œuvre d’un homme et d’artistes qu’il a influencés se trouve simultanément mis en valeur dans trois lieux. (1)

Cet hommage exceptionnel à l’esprit créatif de Réal Bérard, organisé à la veille de son 80e anniversaire de naissance, est certes une bonne façon d’attirer le regard sur un travail aux multiples facettes : peintures, sculptures sur bois, sculptures en bronze, en fer, sculptures de neige, illustrations, créations graphiques, caricatures, cartes de canotage. Un déploiement d’expressions artistiques inscrit dans l’atmosphère de la Rivière-aux-Rats.

Car le natif de Saint-Pierre Sud, petit regroupement métis et canadien-français à l’époque de sa jeunesse, a grandi dans un monde où une prime était accordée à la débrouillardise et l’ingéniosité pour résoudre ces foules de petits et grands problèmes pratiques auxquels les habitants doivent faire face au quotidien.

Ainsi, lorsque durant ses études aux beaux-arts l’étudiant Réal Bérard passe ses étés au contact du puissant Bouclier canadien, l’explorateur en lui entreprend de relever un immense défi. Le voilà déjà qui cherche par tous les moyens à faire naître des œuvres qui appellent à pénétrer dans la Sauvagerie. Combien de tableaux et de sculptures n’a-t-il pas réussi à rendre hypnotiques, tant ils sont chargés de l’énergie magnétisante de ces territoires indomptables?

Chez Réal Bérard, la profonde beauté de son travail tient au lien qu’il arrive à nouer entre une personne et un espace, que cet espace soit la force primordiale de la rivière Churchill (la Missinippi), les vies oubliées des prospecteurs et trappeurs d’antan ou l’immensité des Prairies manitobaines. Ses tableaux sont autant de fenêtres ouvertes, qu’elles fassent apparaître le charme d’une scène parisienne, d’une ruelle bonifacienne, ou encore la luminosité d’un bouquet de lilas.

Réal Bérard est un fouilleur devant l’éternel. Son élan vital l’anime sans doute depuis toujours, tellement sa vocation à forger des ponts entre les êtres et les lieux paraît indéracinable. Cependant, s’il cultive avec constance un besoin d’entretenir son « côté animal », et s’il veille jalousement sur l’enfant qui l’habite pour « rester petit », il ne cherche pas à analyser les passions qui le traversent, les mille chevaux qui caracolent en lui. Il ne cherche pas non plus à faire mieux connaissance avec lui-même, contrairement aux recommandations des vieux Grecs à quelques millénaires d’ici.

Le pèlerin de l’universel né sous l’infini des ciels manitobains ne cherche pas à se comprendre, il cherche à comprendre. À califourchon sur les XXe et XXIe siècles, Réal Bérard se considère depuis bien des années « un parmi sept milliards d’humains »; un de ceux qui s’efforcent simplement de « semer aux quatre vents », comme le pissenlit envoie promener ses aigrettes lorsqu’il est bien mûr.

Parce qu’il est aussi pleinement de son temps, ce Canadien français de la « vieille race » ne résiste jamais à une discussion sur les bons et les mauvais coups de la gent politique. Par naissance peut-être, par devoir sûrement, le Canayen ne saurait échapper à l’exigence de se battre contre toutes les formes d’impérialisme, britannique dans le vieux temps, américaine dorénavant et peut-être bien chinoise un jour (enfin s’il reste alors encore des Canayens).

Ce n’était donc qu’une question de temps avant que la jonction ne s’opérât entre La Liberté et les élans de Réal Bérard en faveur de la justice pour tous. La rencontre entre le journal et l’ardente volonté du Joual de secouer les endormis de tous poils et de toutes espèces eut lieu à l’automne de 1982. C’était peu de temps avant que n’éclate la pire vague de haine aveugle à l’encontre du fait français dans ce Manitoba pourtant fondé par les Métis canadiens-français et écossais désireux de paix sociale et d’ouverture à l’autre.

Depuis plus de trente ans maintenant, formidablement, semaine après semaine, Cayouche livre son témoignage à l’esprit d’indépendance dont tout citoyen qui se respecte doit idéalement faire preuve en toutes circonstances par respect pour lui-même et l’entière humanité, puisque nous sommes tous liés.

Qu’il plaise au dieu des jouaux que l’œuvre de Cayouche, exceptionnelle dans la durée et la qualité de sa facture graphique – car les coups de pinceaux du Joual sont aptes à toutes les nuances – puisse encore longtemps éclairer les lectrices et les lecteurs de La Liberté.

 (1) À la Maison des artistes visuels francophones et la Galerie de l’Université de Saint-Boniface jusqu’au 27 août; et au Centre culturel franco-manitobain jusqu’au 20 septembre.