Par Bernard Bocquel
La Liberté du 30 septembre 2015
Les célébrations qui viennent de marquer le 50e anniversaire de la fondation de la Villa Youville constituent une occasion en or pour s’intéresser de plus près au beau mot de « communauté ». (*)
Lorsqu’en novembre 1960 les Chevaliers de Colomb de Sainte-Anne-des-Chênes décidèrent de donner vie à un projet de résidence pour personnes âgées, dans leur esprit canadien-français le mot « communauté » était encore réservé aux congrégations religieuses.
À ce temps-là, il s’agissait d’une initiative totalement nouvelle en sol manitobain. Une initiative chevaleresque sans doute suggérée par un membre d’une congrégation religieuse, en l’occurrence celle des Rédemptoristes, les chargés d’âmes de la paroisse de Sainte-Anne. Le curé d’alors, le père Armand Ferland, dut prendre son inspiration dans l’Est, où des projets nouveaux se développaient pour accueillir des aînés parfois laissés pour compte dans un monde en pleine mutation. Son successeur en 1961, le père Conrad Montpetit, adhéra à fond à l’idée.
Le projet suscita aisément l’adhésion générale dans cette région rurale plutôt pauvre, où le vieux fond métis cohabitait avec l’élément canadien-français. Un hôpital avait ouvert ses portes en 1954 ; établir une résidence pour garder les « vieillards » au bercail participait d’une logique complémentaire. Il fallait prélever 40 000 $ pour avoir accès à de l’argent gouvernemental. L’objectif fut atteint.
Si bien que La Liberté et Le Patriote du 14 août 1964 put annoncer dans un court texte qu’un projet de 15 logements-studios, 10 logements à une chambre et un foyer de 25 lits avait obtenu un prêt de 234 000$ du fédéral, remboursable sur 45 ans à 5% et des poussières d’intérêts. Les loyers mensuels des logements-studios étaient fixés à 43 $ par mois ; ils étaient destinés à des personnes disposant d’un revenu annuel oscillant entre 792$ et 1 980$.
Pour leur part, les Sœurs Grises, une communauté religieuse présente depuis presque un siècle à Sainte-Anne-des-Chênes, avaient donné du terrain au beau milieu du village. Elles agirent bien sûr par souci du bien commun, par respect des démunis, tout à fait dans l’esprit de leur fondatrice, mère Marguerite d’Youville. La première directrice fut d’ailleurs une Sœur Grise, sœur Anna Gosselin ; Louis Bernardin, le futur directeur pour une bonne vingtaine d’années, avait été au départ embauché comme gérant à temps partiel.
Dès l’ouverture de la Villa Youville le 27 juin 1965, une soixantaine de personnes âgées, dont certaines auraient peut-être dû finir leurs jours hors de leurs terres natales, exilées (par exemple) à l’hospice Taché à Saint-Boniface, purent au lieu couler leurs vieux jours en toute quiétude dans leur milieu.
Le succès de la Villa Youville ne se démentira jamais. Un édifice fut ajouté en 1972, un autre ouvrit en 1978, un troisième en 1990 ; puis un nouveau pavillon en 2013. Pour Paul Ruest, le directeur général depuis avril 2013, « la grande force de la Villa, c’est qu’au départ il s’agissait de répondre à un besoin en logements abordables et à la nécessité d’offrir des soins à des personnes âgées pour qu’elles puissent demeurer dans leur coin de pays. Le modèle est exceptionnel. Sous un même toit, la Villa offre tous les services, pour les gens autonomes, pour ceux qui ont besoin d’un peu d’aide, jusqu’au nursing. À la Villa, les personnes meurent chez elles, même au nursing. »
Lorsque Paul Ruest prend la direction générale de l’institution, il constate que l’esprit de communauté insufflé à l’origine par les religieux et les religieuses s’était dissipé. Un constat plutôt ironique si l’on veut bien prendre conscience que la notion de communauté s’est diluée à partir des années 1970. Le mot est devenu un fourre-tout, synonyme de village, de paroisse, de tout regroupement, de n’importe quel collectif ; et même d’une idée : la communauté franco-manitobaine.
Aux célébrations du 25e de la Villa Youville en 1990, on en parlait comme de la « perle de la communauté ». Mais de quelle communauté ? Du village ? De la paroisse ? En recentrant l’an dernier la mission de la Villa Youville sur les valeurs fondamentales des pionniers du projet, en plaçant au cœur de l’œuvre l’esprit de famille, le souci de l’accueil et la volonté de tendresse, les dirigeants ont permis l’émergence d’une vraie communauté.
Une communauté dont l’objet est de permettre à des francophones catholiques de vivre une vieillesse heureuse sous un même toit, où tous peuvent se sentir chez eux en s’efforçant d’être au service les uns des autres. Le 50e de la Villa Youville a mis en lumière l’existence d’une authentique communauté, en rappelant que l’usage du mot n’a de sens profond que s’il exprime une commune volonté humaine vers le bien commun et la solidarité.
(*) Sans oublier la fin des cafés citoyens, première étape des États généraux de la francophonie.