Avec ses majorités au Québec et en Ontario, Justin Trudeau a arraché le pouvoir à l’Ouest et l’a retourné au Canada central.

On ne peut pas dire que l’Ouest n’a pas eu sa chance.

Depuis une dizaine d’années, un Parti conservateur axé sur l’Alberta, et animé en partie par un sens d’aliénation des élites ontariennes et québécoises, a gouverné le Canada.

Ce fut la malchance de ce parti d’être dirigé par un chef exclusiviste, hautement idéologique et autocratique. Tout au long de sa carrière, d’abord comme réformiste, ensuite comme allianciste et enfin comme chef conservateur, Stephen Harper ne s’est préoccupé que de bâtir une base solide, qui pourrait, en période électorale, lui permettre d’aller chercher quelques points de plus en appui populaire pour former un gouvernement.

Sa stratégie a fonctionné pour plusieurs élections, lui produisant deux gouvernements minoritaires et enfin, en 2011, un gouvernement majoritaire.

On aurait pu croire, après cette victoire éclatante de M. Harper, qu’il se serait adouci quelque peu, qu’il se serait plu dans son rôle comme premier ministre « de tous les Canadiens », comme on le dit souvent après une grande victoire nationale.

Il n’en fut rien.

Harper, au contraire, s’est renfrogné, est devenu plus radical dans ses coupures gouvernementales, plus méprisant des institutions démocratiques canadiennes, plus arrogant par rapport à ses adversaires à la Chambre des communes et plus exclusiviste dans son exercice du pouvoir. Il a donc établi, année après année, les conditions pour la grande défaite de son parti le soir du 19 octobre. Tout cela n’était pas inévitable, et un parti dominé par l’Ouest aurait pu très bien, sous un leadership plus éclairé, se positionner comme un grand parti canadien, en reflétant toute sa diversité et toutes ses valeurs. M. Harper n’était pas ce chef.

Et l’Ouest hérite aussi des fruits amers de cette défaite. Car ce sera très, très longtemps avant que les Canadiens consentent à redonner le pouvoir à une petite cohorte de « Westerners » dont les valeurs ressortent désormais comme étant assez fondamentalement différentes des valeurs du Canada central, de l’Atlantique et de la Colombie-Britannique. Pour permettre à nouveau cette éventualité, il faudra que le Parti conservateur se réinvente fondamentalement, incluant, possiblement, des détours vers des partis mineurs séparatistes de l’Ouest comme ceux qu’on a vus au cours des années 1980 et 1990.

Les résultats des élections sont tout de même cause de réjouissance pour les fédéralistes canadiens partout au pays. En effet, cela fait très, très longtemps qu’un parti national a obtenu des majorités à la fois en Ontario et au Québec. M. Trudeau avait absolument raison de souligner, le soir des élections, le fait qu’enfin, après tant d’années, les Québécois reprenaient leur place au cœur du pouvoir fédéral à Ottawa. Dorénavant le visage, et même la langue d’usage à Ottawa, sera plus francophone.

Au-delà de ces réflexions, la grande majorité des Canadiens a soufflé un gros « ouf! » de soulagement face aux résultats si définitifs de ces élections. M. Harper, fidèle à son approche exclusiviste, a récolté les 32% des votes qu’il cherchait et qu’il méritait. Les autres 68% des électeurs sont allés ailleurs, et s’en sont réjoui.

Par Raymond Hébert