L’espoir de pouvoir se vaincre
Tous les artistes se reconnaîtront sans doute dans le désespoir du personnage de Philippe, joué par Olivier Normand. La première reprise de Vinci de Robert Lepage depuis sa création en 1985 se déroule à la même époque, mais son histoire est intemporelle. Cette exploration du revers artistique d’un photographe qui vient de perdre son ami et mentor laisse entrevoir sa recherche d’une raison d’être.
Les premières répliques en italien prononcées par le guide aveugle, Frédérick Bouffard, sont une agréable surprise qui nous transporte tout de suite dans la sagesse philosophique de Léonard de Vinci. En effet, la présence du guide italien est drôlement rassurante dans cette adaptation pour deux de l’original. Car il guide aussi bien Philippe que le public à travers le périple. La relation entre ces deux personnages est bien visible dans la scène à Florence. La mise en scène de Frédéric Dubois a soigneusement tissé une harmonie entre le texte reconstitué à partir des improvisations de Robert Lepage et la chorégraphie physique.
La polyvalence d’Olivier Normand est bien illustrée, alors qu’il devient successivement un guide touristique britannique, une employée du Louvre, la Joconde et, finalement, lui-même. Cette transformation du personnage sur scène produit un enchantement total. Son effet est amplifié par l’éclairage hors pair de Caroline Ross et de l’équipe technique du Cercle Molière. On apprend que la Mona Lisa avait été recouverte par une plaque de vitre pour empêcher qu’elle soit vandalisée. Frédéric Dubois fait parler la Joconde, son nez pressé contre un mur de vitre, comme si elle mourrait d’envie de nous révéler tous les secrets de son peintre, Léonard de Vinci.
Décor minimaliste et théâtre de l’absurde vont main dans la main et c’est cette approche que semble avoir adoptée l’équipe de Vinci pour la scénographie et pour faciliter les transitions de lieu. Les couloirs de vitre coupent le public de sa proximité à la scène pour créer un froid, froid qui traversait aussi les expositions du photographe. Philippe est perpétuellement en transit et ce n’est qu’à la fin qu’il donne l’impression d’être arrivé. C’est-à-dire qu’il est arrivé à reprendre de l’espoir et à le transmettre au public. Vinci nous amène à croire que oui, il est possible de vaincre ces défis personnels qui accablent notre présent.
par Amber O’REILLY
L’humain au bout du fil
Il y a une scène dans la pièce Vinci à vous fendre le coeur.
Philippe, le personnage principal, est dans la gare de Cannes, où il tente de contacter sa blonde québécoise depuis un téléphone payant (Produite pour la première fois en 1985, Vinci se déroule à nouveau en 1985, avant les téléphones intelligents et l’avènement d’Internet).
Philippe est en déprime. Le photographe fait le deuil de son ami Marc, qui s’est suicidé. Il s’interroge aussi sur son talent artistique. N’est-il rien qu’un photographe manqué?
Mais au lieu de tomber sur la boîte vocale de sa petite amie, Philippe entend la voix de Marc. Répondeur toujours fonctionnel dans l’appartement du défunt? Bribes en provenance de l’au-delà?
Chose certaine, le choc de Philippe devient le nôtre. Et ses faibles gémissements, tentatives haletantes de rompre finalement son isolement, bouleversent.
C’est ça la magie du théâtre. La magie intime, lucide et transparente du moment où l’on se laisse complètement absorber par l’émotion présente, et l’émotion présentée sur la scène.
Et c’est ça le génie de Robert Lepage, le célèbre metteur en scène dramaturge et comédien québécois. Lepage a l’habileté d’aller droit au coeur du tableau qu’il nous brosse. Et de nous permettre d’en faire partie. L’émotion étalée, on la connaît. Elle est humaine et rejoint l’humanité toute entière.
Outre la scène de la gare de Cannes, et pour plusieurs autres encore, Vinci entretient le potentiel de séduire, mais par la technique. Vinci nous inonde de toutes sortes d’effets visuels et sonores, d’astucieux jeux de rhétorique et de réflexions sur l’art.
Nous présenter, un ruban à mesurer à l’appui, l’histoire de l’art en 60 secondes, c’est ludique, voire même rigolo, et intello. C’est jeune, surtout.
Comme l’était Robert Lepage en 1985.
N’empêche. On entrevoyait déjà son génie à travers d’étonnants moments, comme celui d’un cri du coeur lancé vers un mort au bout du fil.
par Daniel BAHUAUD