La Liberté ÉDITO

Par Bernard Bocquel

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La Liberté du 18 novembre 2015

Depuis que le Premier ministre du Manitoba a rendu publique à la mi-octobre sa volonté de faire adopter une loi sur les services en français, La Liberté vous a proposé, semaine après semaine, divers regards sur la méthode Selinger. Avec pour double objectif d’informer et de stimuler la réflexion sur le sujet, notamment en remettant l’initiative du député de Saint-Boniface dans son contexte historique.

Pour des raisons d’heure de tombée, il incombe vraisemblablement à nos consoeurs et confrères de Radio-Canada et des autres médias de donner les éléments clés du projet de loi et d’obtenir les premières réactions. Puis viendra le temps pour les principaux acteurs politiques, ainsi que les experts qui seront consultés, de se pencher plus avant sur l’évaluation et les ramifications des propositions avancées par Greg Selinger. C’est dire si l’importance du sujet va permettre à La Liberté de continuer à pleinement faire son indispensable part.

Indispensable en particulier est de prendre la juste mesure de la portée potentiellement historique du projet de loi Selinger dans la perspective du respect de la volonté des Métis de la Rivière-Rouge. Déjà au temps de la Colonie, marquée par l’isolement et les difficultés d’un climat aux tendances extrêmes, l’ouverture aux autres faisait partie des conditions de survie. L’ouverture, l’acte culturel par excellence de ce pays.

Dans cet esprit, sous la gouverne de Louis Riel et de son indispensable mentor l’abbé Noël Ritchot, les Métis obtinrent les garanties légales que leurs parents (plus ou moins éloignés) Canadiens français de l’Est puissent aussi s’installer et vivre selon leurs valeurs culturelles et religieuses dans la nouvelle province du Manitoba.

Mais les Canadians de l’Ontario, surtout ceux du fond orangiste anticatholique et antifrançais, ne l’entendaient pas de cette oreille. Pour eux, la loi du plus fort primait sur des articles de lois. Ces messieurs, confortablement fanatisés pour éviter d’entendre la voix de leur conscience d’humains, avaient décidé de prendre le contrôle politique du Manitoba par tous les moyens possibles. Ils réussirent en deux temps : 1890 puis 1916.

Enfin ils réussirent sur papier l’élimination du français dans l’espace politique, juridique et scolaire. Car dans la réalité, une longue résistance s’installa. Réputés indépendants d’esprit, Métis canadiens-français et Canayens n’étaient pas disposés, en tout cas pas en deux ou trois générations, à se plier au diktat du dominateur qui disposait des principaux leviers politiques et économiques de la société.

Depuis les années 1960, le Manitoba a heureusement connu des Premiers ministres qui comprirent qu’il ne servait plus à rien de mener les batailles d’un passé marqué au sceau du fanatisme orangiste. Au contraire. Dans le monde d’aujourd’hui, où l’interdépendance des économies nationales est une évidence, il n’est dans l’intérêt d’aucun chef manitobain de succomber à l’unilinguisme anglais.

Il est tout au contraire dans l’intérêt du Manitoba d’ouvrir ses bras aux immigrants. Versé en finances, Greg Selinger comprend bien la nécessité de l’immigration pour que sa province prospère. Par ses origines métisses, le Manitoba possède l’atout supplémentaire d’une immigration francophone qui peut décider de devenir bilingue, puis de le rester.

Il n’échappe à personne en effet que ce sont les nouveaux arrivants qui ont le plus besoin des services en français. Greg Selinger a bien souligné par avance que sa loi prévoit d’élargir la définition de « francophone ». Comme les Métis de 1870 voulaient que les Canayens puissent venir s’installer au Manitoba en toute égalité avec les Anglais, la Loi sur les services en français contribuera aussi à rendre plus cohérente et humaine la volonté politique d’accueillir des immigrants francophones; immigrants dont l’intégration contribue déjà à la dynamisation du noyau bilingue de la Province du Milieu.

Nous verrons bientôt combien il reste en notre sein d’orangistes anti-francophones ou d’autres empêcheurs de nous métisser, c’està- dire de consolider nos forces d’ouverture aux autres.