LA LIBERTÉ (PRESSE CANADA)
Greg Selinger

L’incontournable rôle de l’opposition

C’était toujours une possibilité. Et vu les plus récents signaux envoyés par les progressistes-conservateurs, c’est peut-être dans l’ordre du probable : le projet de loi 6 pourrait mourir au feuilleton. Les considérations de Michel Lagacé, Roger Turenne et Raymond Hébert.

La Liberté sollicitait déjà depuis plusieurs semaines un commentaire de la part de l’opposition officielle sur le projet de loi 6 de Greg Selinger. Le vendredi 27 novembre, à précisément 15 h 57, le journal a reçu un courriel de Ross Romaniuk, un porte-parole du caucus progressiste-conservateur, indiquant entre autres :

« Si le Premier ministre ne décide pas de présenter un budget avant la prochaine élection – ce à quoi il ne s’est pas encore engagé – alors ce projet de loi restera bloqué à cause de l’inaction du NPD. » [ndlr : traduit de l’anglais]

Pour le commentateur politique Michel Lagacé, une seule conclusion se dégage d’un tel propos. « C’est dire qu’une guerre des tranchées se prépare à moins que Greg Selinger ne promette un budget ce printemps. Et ce sera la paralysie législative jusqu’au déclenchement des élections. Dans ce scénario, le projet de loi 6 va mourir au feuilleton. »

Le dernier budget provincial a été déposé le 30 avril dernier. Le ministre des Finances, Greg Dewar avait alors déclaré que le gouvernement Selinger déposerait un autre budget avant le début de la campagne électorale printanière. Les élections provinciales auront lieu le 19 avril.

Michel Lagacé élabore : « Depuis, Greg Dewar a refusé de confirmer qu’il donnerait suite à cet engagement. Le courriel de M. Romaniuk laisse entrevoir la possibilité que les progressistes-conservateurs vont tout faire pour bloquer tout projet de loi tant que le dépôt du budget ne sera pas confirmé. »

Selon l’analyste politique Roger Turenne, « budget ou pas budget, il reste trop peu de temps avant l’élection pour faire adopter le projet de loi 6 ».

« L’ajournement de la session 2015 de l’Assemblée législative était prévue pour le 3 décembre. La session législative reprendra le 24 février, pour continuer jusqu’au 15 mars, date présumée de la prorogation et du déclenchement des élections.

« S’il y a un budget, les discours et les mesures afférentes prendront la majeure partie du temps. S’il n’y a pas de budget, rien de plus facile pour l’opposition de faire traîner les choses et empêcher le gouvernement d’adopter quelle que mesure que ce soit. »

La Liberté a par ailleurs appris de sources sûres que la deuxième lecture du projet de loi 6 ne se fera pas avant le 24 février. Le politologue Raymond Hébert reconnaît que « c’est un échéancier serré ».

« Si le projet de loi 6 meurt au feuilleton, au moins on évitera une “crise”, ou encore un débat qui sèmera la discorde sur la question linguistique au Manitoba.

« Il faut se rappeler la crise linguistique de 1983 et 1984. Lorsque la question du bilinguisme a été discutée devant les comités législatifs de consultation publique, ces comités n’ont servi qu’à attiser les flammes. Ils ont donné une voix aux antifrancophones les plus extrémistes.

« Alors si le projet de loi 6 réussit à avancer au stade des comités de consultation publique, les comités législatifs pourraient à nouveau attiser le sentiment antifrancophone. Il y a un danger réel d’une nouvelle crise linguistique, avec probablement des manchettes anti-francophones dans les médias anglophones. D’où l’importance pour le gouvernement Selinger de dialoguer avec l’opposition officielle, qui doit être impliquée dans la démarche d’adoption du projet de loi 6. Une stratégie saine serait d’établir un consensus sur la question. Les deux partis pourraient s’entendre sur le nombre d’interventions publiques à entendre en comité. »

Daniel BAHUAUD