Par Bernard Bocquel
La Liberté du 16 décembre 2015
Dès le début du mois d’août, alors que s’enclenchaient des élections fédérales générales extraordinairement longues, il était clair qu’elles seraient historiques. Historiques si l’électorat reconduisait le conservatisme de Stephen Harper au pouvoir, historiques si l’électorat décidait de confier son besoin de changement au NPD ou aux libéraux.
L’histoire politique a penché du côté des libéraux, qui sont passés en trois mois du statut de troisième parti à celui de parti gouvernemental, doté en plus d’une indiscutable majorité. Pour les quatre prochaines années, Justin Trudeau dispose d’une marge de manœuvre totale et entière pour implanter le « vrai changement » dont il a assuré les Canadiens.
Après une dizaine d’années de gouvernement conservateur mené par un homme inflexible, soucieux d’imposer sa conception de la société, les deux tiers des électrices et électeurs ont refusé de le suivre. Alors que l’ancien du Reform Party of Canada avait pris le pouvoir à Ottawa sur le dos d’un parti libéral mûr pour le purgatoire politique, il doit céder le pouvoir au même parti libéral, dirigé par le fils de celui dont il souhaitait ardemment raboter l’héritage.
Deux exemples sont emblématiques de la conception dogmatique et dominatrice que les Canadiens ont rejetée. Les scientifiques condamnés au silence ont symboliquement regagné leur honneur avec le rétablissement, pour le prochain recensement, du formulaire long obligatoire. Et les Autochtones ont pour la plupart enfin le sentiment qu’ils sont entendus par Ottawa. Un heureux développement quand on sait leur poids démographique croissant et les problèmes sociaux auxquels tant d’entre eux doivent faire face.
Le legs de Stephen Harper aura été de convaincre de nombreux citoyens qu’il est impossible de vivre dans une bulle, que l’égoïsme national a des limites et que la vie au 21e siècle doit se concevoir dans une perspective planétaire. En effet, la période de glaciation canadienne qui s’achève fait ressurgir des énergies de changement marquées au sceau de l’optimisme.
En reléguant Stephen Harper au rang de simple député de Calgary Heritage, les Canadiens ont accepté de revenir à une conception du monde plus ouverte. Il était grand temps : depuis la chute du mur de Berlin en 1989, l’obsession sécuritaire de nombreux gouvernements s’est intensifiée. Au début des années 1990, les clôtures, barrières et murs de toutes espèces érigés entre pays voisins s’élevaient à une dizaine. Ils sont aujourd’hui de l’ordre de la cinquantaine.
La solidarité planétaire dont le nouveau gouvernement fait preuve sur la question centrale des changements climatiques contribue d’évidence à concrétiser l’élan de renouveau désiré par bien des Canadiennes et Canadiens. Il y a quelque chose de libérateur de voir se dissoudre le mur négationniste des changements climatiques, dressé au nom d’un égoïsme économique strictement national.
Cette nécessité d’ouverture au sort d’autrui est aussi bien illustrée par la politique d’accueil à l’égard des réfugiés syriens. Le respect de cette promesse électorale souligne à quel point le thème principal de 2015 au Canada n’est pas celui du changement, mais bien de la prise de responsabilité. Mieux encore : d’une plus large prise de conscience de nos responsabilités comme citoyens d’un pays qui a su évoluer vers une société de droits assez ouverte pour permettre à la fois l’émergence et la protection de talents humains.
De fait, la société canadienne est plutôt bien placée pour permettre l’épanouissement de porteurs d’avenir ouverts sur l’universel. C’est là son plus haut honneur : posséder les assises pour développer la coresponsabilité entre humains à l’échelle de la Terre.
Si les actions du fédéral lancées tous azimuts arrivent à encourager les courants de responsabilisation volontaire qui se manifestent, si ces actions réussissent à faire naître et à consolider des mentalités plus solidaires, plus confiantes, alors les élections fédérales de 2015 mériteront vraiment le qualificatif d’historique.