Par Bernard Bocquel
La Liberté du 01 janvier 2016
La scène s’est déroulée vers 1936. Léonard Robidoux d’Otterburne (1924-2013) est témoin d’une bataille entre un jeune canadien-français et un Métis. Sans problème, l’adolescent métis « sacre une volée » au Canayen qui, pour symboliquement reprendre le dessus, traite son adversaire au teint foncé de « race de traître ».
Une insulte qui a été utilisée tant et tant de fois, par des générations d’adultes comme par des gamins imbibés des préjugés de leurs parents. Léonard Robidoux avait conclu son histoire en soulignant qu’il n’avait jamais pu oublier son livre de lecture du grade 5, où Louis Riel était présenté comme un traître.
Le vainqueur a toujours raison, puisque c’est lui qui décide de la manière dont il faut se souvenir d’un évènement. Son arme est efficace : il lui suffit de confier la tâche à des historiens tout dévoués au pays pour bâtir la fiction patriotique souhaitée. Au moins au Canada, où l’éducation relève des provinces, le vainqueur n’a pas le monopole de la propagande.
Ainsi, et pour rester dans le Manitoba des années 1930, les manuels d’histoire anglais qui vantaient l’Empire britannique étaient concurrencés par ceux des Frères des écoles chrétiennes. Montcalm était le héros qui s’était vaillamment défendu aux Plaines d’Abraham. Parce qu’il détestait le latin et ne jurait que par les sports, le futur député de Saint-Boniface Laurent Desjardins déserta le Collège de Saint-Boniface pour St. Paul’s College. Bien que les deux institutions fussent dirigées par des jésuites, Laurent Desjardins n’obtint plus de bonnes notes en histoire. Ce fils de Canayens n’avait jamais pu accepter que le général Wolfe fût le vrai héros des Plaines d’Abraham.
Les manuels d’histoire des années 1970 n’étaient pas encore tendres à l’égard de Louis Riel et des Métis. Mais déjà certains profs d’histoire ne se gênaient plus pour donner une image plus honnête du chef métis. Depuis 2003 au Manitoba, un vaste chantier a été ouvert pour renouveler, une année à la fois, le programme d’études en sciences humaines.
Publié par les Éditions des Plaines, il existe maintenant la version française d’un manuel d’histoire taillé sur mesure pour refléter le programme d’études de la 11e année en sciences humaines. Le livre a été développé par l’éditeur conjointement avec le ministère de l’Éducation du Manitoba et le Bureau de l’éducation française. Dans Façonner le Canada, il n’est plus question de « rébellion » des Métis à la Rivière-Rouge en 1869 ou au Nord-Ouest en 1885, mais de « résistance ». Pour réviser les parties qui concernent plus spécifiquement « l’histoire francophone », les responsables du projet ont retenu les services de l’historien Jean-Marie Taillefer, qui ne tarit pas d’éloges sur le nouveau manuel.
« Façonner le Canada respecte les idées de Peter Seixas, de l’Université de la Colombie-Britannique. Les élèves doivent envisager les évènements sous différentes perspectives, pour leur faire comprendre que l’histoire, on peut la voir de plusieurs façons. Les questions soumises aux élèves sont pensées de façon à ce qu’ils puissent établir des liens avec le présent. Si l’histoire présent. Si l’histoire enseignée n’est pas reliée au présent, elle n’a aucune utilité.
« Façonner le Canada accorde aussi bien moins de place à la Nouvelle-France. C’était vraiment important de rééquilibrer le programme pour mettre l’accent sur le Canada contemporain. C’était tout aussi important de donner une juste place aux Autochtones. C’est une des premières fois que les Autochtones et les Métis reçoivent ce traitement dans un manuel d’histoire. Ils sont omniprésents à travers le livre. Et puis, on ne parle pas juste des Autochtones, mais les Autochtones parlent aussi d’eux-mêmes. Le rôle des femmes est aussi très valorisé. »
Sur les 114 écoles manitobaines qui participèrent au concours pour nommer le troisième lundi de février férié, instauré en 2008, 11 proposèrent d’honorer la mémoire de Louis Riel. Ainsi naquit la « Journée Louis Riel Day ». Le traître est dorénavant consacré Père du Manitoba. Une chaleureuse pensée devrait aussi être à l’ordre du jour le troisième lundi de février pour saluer les historiens qui refusent de se mettre au service d’une idéologie dominante et qui s’efforcent de faire ressortir l’esprit d’une époque pour donner à réfléchir à leurs contemporains.