La Liberté ÉDITO

Par Bernard Bocquel

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La Liberté du 17 février 2016

Alors que la 47e édition du Festival du Voyageur bat son plein, que le 9e Journée Louis Day a encore apporté son lot de rappels nécessaires sur la tragique vie de Louis Riel; alors que les festivaliers subjuguent l’hiver en s’harmonisant à l’entrain des artistes de la scène, un Hé! Ho! s’impose pour souligner la remarquable énergie vitale de cette fête d’hiver dont on ne saurait plus se passer.

D’abord il importe de revenir sur le coup de génie de Georges Forest. Déjà en 1970, à l’heure où toute ville et municipalité digne de ce nom planifiait des activités spéciales pour marquer en grand le premier siècle de la Province du Milieu, l’homme d’affaires possédait une réputation d’activiste, de défenseur inconditionnel de la Ville de Saint- Boniface.

Le natif de La Salle, métis dans l’âme mais sans ostentation, ne pouvait pas accepter que sa ville d’adoption n’organisât pas un évènement à la hauteur de sa réputation de bastion de la culture canadienne-française dans l’Ouest. Parce que Georges Forest était imprégné de l’esprit des ancêtres, une idée au potentiel illimité le traversa : il fallait bâtir une célébration bonifacienne en s’appuyant sur le personnage mythique du Canada d’antan : le persévérant, l’indépendant, le vantard, l’irréductible voyageur; l’humble mais puissante colonne vertébrale du commerce des fourrures, commerce qui engendra quelques grosses fortunes et de nombreux Métis.

Il y a loin de la coupe aux lèvres; il y a souvent encore plus loin entre une idée fertile et sa traduction en acte. Mais pas chez Georges Forest. Poussé par son intuition, il trouva la solution. Tandis qu’il arpentait le couloir de sa maison sur la Champlain, il annonça à son pilier de vie, sa femme Anita, qu’il allait se laisser pousser la barbe pour mieux se glisser dans le personnage de Jean-Baptiste Lagimodière. La dévouée Anita L’Heureux allait voir au costume; elle-même s’habillerait en Marie- Anne Gaboury. Parce qu’on les avait fait rêver, les Bonifaciens embarquèrent.

Bien sûr, malgré le germe d’originalité initial, la fête en l’honneur des voyageurs du bon vieux temps fut d’abord surtout une copie de ce qui se faisait ailleurs : concours de Reines flanquées de Princesses; nourriture quelconque, mais quand même déjà un Bal du gouverneur dès 1970. Puis, grâce à des personnes comme Hélène Martin, Gérald Turenne, Guy Savoie, des Métis prêts à se donner comme Bert Vermette, le Festival du Voyageur devint une porte d’entrée inestimable sur l’histoire, sur la culture métisse profondément enracinée dans le pays. À la fin des années 1970 encore, les tuques rouges abondaient dans les rues de Saint-Boniface. C’était là une manifestation haute en couleur de l’affirmation du fond francophone de la province.

Puis vinrent le Fort Gibraltar, ainsi qu’une programmation scolaire, et l’engagement saisonnier d’artistes qui, inspirés et motivés par Réal Bérard, devinrent des tailleurs de blocs de neige maîtres de leur art au point qu’on les appela des neigistes. Porteur d’histoire, le Festival du Voyageur aura aussi permis de donner à Winnipeg en février un petit air de galerie à ciel ouvert.

L’évolution la plus bienvenue de la fête aura été son acceptation, puis sa popularité auprès des Winnipégois. Le Festival du Voyageur a su s’ouvrir au bilinguisme sans perdre son cachet, qui s’arrange très bien aussi avec sa dimension internationale. La musique cajun (par exemple) a fait son entrée au Manitoba par le truchement du Festival.

En fait, les apports du Festival du Voyageur sont tellement multiples pour la société manitobaine qu’il devient inconcevable qu’un travail historique sérieux ne soit pas bien vite entrepris. L’approche de la 50e édition du Festival devrait être un déclencheur suffisamment motivant. Sans compter que certains témoins précieux commencent à prendre de l’âge ; tandis que d’autres déjà rament au fil de rivières et de lacs infinis, ceintures fléchées aux vents éternels… Il y a tant de gens dont la mémoire mérite d’être honorée.

Toutefois, la motivation suprême pour produire une histoire du Festival reste la capacité de cette fête unique à faire revivre l’histoire. Ainsi le Festival du Voyageur possède en lui la force de donner un sens particulier au 150e de la Confédération (2017; 48e édition); au 200e de l’arrivée de l’abbé Provencher (2018; 49e édition); à son propre 50e (2019); et au 150e du Manitoba (2020; 51e édition).

À bien y penser, 2020 serait une année joliment symbolique pour lancer un livre d’histoire digne de ce nom sur cette extraordinaire aventure humaine, construite sur la générosité de plusieurs générations

de bénévoles.