Par Bernard Bocquel
La Liberté du 24 février 2016
Voici que nos députés provinciaux entament le dernier effort législatif avant le déclenchement formel d’une campagne électorale engagée depuis belle lurette. L’ultime bout de session a lieu dans la foulée d’un autre Festival du Voyageur qui aura à nouveau renforcé un peu plus la réalité du bilinguisme manitobain.
Cela fait au moins 25 ans maintenant que les médias anglophones ont épousé la cause de la plus grande fête d’hiver dans l’Ouest canadien ; au moins un quart de siècle qu’ils ont décidé que le Festival n’était pas juste une affaire de Bonifaciens, mais concernait toute la ville de Winnipeg, voire tout le Manitoba.
Tout un symbole : d’un côté, la présence du français, reconnue comme une évidence par le grand public ; et de l’autre côté, le français langue officielle au Palais législatif et dans les tribunaux, encore et toujours traité du bout des lèvres par les représentants du peuple.
Tandis que les foules se déplaçaient au Parc du Voyageur pour prendre ou reprendre conscience que la présence du français sur les bords de la rivière Rouge et de l’Assiniboine remonte à bien plus longtemps que celle de l’anglais, quelques élus manitobains se grattaient la tête et se demandaient quelle attitude prendre face au projet de loi 6 de Greg Selinger.
Baptisé Loi sur l’appui à l’essor de la francophonie manitobaine et déposé le 24 novembre 2015 alors que le compte à rebours électoral était déjà bien enclenché, le geste du Premier ministre arrivait bien tard. Si tard qu’une fois passé l’étonnement, la question très problématique de son adoption assombrissait déjà les premières lueurs d’espoir des militants de la cause.
Greg Selinger, obligé de croire au miracle politique pour espérer obtenir la réélection d’un gouvernement néo-démocrate, affiche un optimisme de circonstance. Pour lui, son projet de protection des services en français existants ne fait qu’entériner les initiatives des deux dernières décennies. À ses yeux, l’Opposition, à moins qu’elle ne veuille retomber dans les batailles des années 1980, devrait faire preuve de bonne volonté et l’appuyer dans sa démarche.
Puisqu’il est acquis que sans l’unanimité la Loi sur l’appui à l’essor de la francophonie manitobaine passera à la trappe, force est d’admettre que le député de Saint-Boniface veut croire que la question du français au Manitoba n’est plus soumise à la logique partisane.
La réponse nous sera fournie d’ici quelques jours. Si le Premier ministre gagne son pari, son désir de donner enfin suite à une demande déjà formulée du temps de son prédécesseur Gary Doer aura effectivement accompli une percée authentiquement historique. Il faut en effet remonter à la Résistance menée par Louis Riel en 1869-1870 pour trouver un temps où la question linguistique n’a pas fait l’objet de divisions mortifères.
Si toutefois l’unanimité requise ne se produit pas ; si les tardives bonnes intentions de Greg Selinger meurent au feuilleton, il est entendu que rien ne sera encore perdu pour la consolidation de la dimension française du Manitoba. Il est clair déjà que la réflexion sur la question linguistique devra se poursuivre même en cas de miracle législatif.
Car le problème de la finalité de la langue française au Manitoba reste ouvert, à un moment où les vieux fonds culturels métis canadienfrançais et canadien-français s’échappent progressivement dans la succession des générations et l’évolution des mentalités.
Dans une logique d’avenir, l’enjeu n’est pas la survie d’une certaine culture, mais bien la préservation d’un noyau vibrant de bilingues français-anglais/anglais-français. Des gens décidés, pour mille et une raisons personnelles, de former une communauté, car solidaires d’un même esprit d’engagement qui veut contribuer à assurer l’ouverture de la société manitobaine sur notre pays et sur le monde.
Ce dont la société manitobaine a besoin, et les élites culturelles et financières de la province en sont sans aucun doute possible conscientes, c’est d’une Loi en faveur du bilinguisme comme projet manitobain. Dans cette perspective, le Festival du Voyageur, pour s’en tenir à l’exemple le plus patent, s’avère un irremplaçable messager qui fait comprendre le puissant potentiel contenu dans un Manitoba désireux de respecter la volonté métisse qui a permis sa mise au monde en 1870.