Par Bernard Bocquel
La Liberté du 02 mars 2016
Maria Chaput relève à l’âge de 20 ans le premier immense défi de sa vie en épousant un veuf père de famille, Robert Arbez, dont elle aura trois enfants. Des défis, elle voudra en relever d’autres. La Villa Youville, un foyer pour personnes âgées à Sainte-Anne, lui ouvre des possibilités professionnelles. Elle en devient la directrice adjointe en 1979.
Cette année-là, elle se fait connaître comme écrivaine. À 37 ans, la voilà publiée par une toute nouvelle maison d’édition, les Éditions des Plaines. En entrevue avec La Liberté, l’auteure précise le propos de son roman Pour l’enfant que j’ai fait : « C’est l’histoire d’une femme d’aujourd’hui qui est aux prises avec les difficultés d’être femme, mère et épouse. »
Tout Maria Chaput semble contenu dans cette citation. À l’aide de la fiction, elle a cherché un chemin pour cerner sa part de vérité. Par dessus tout, elle laisse savoir à celles et ceux qui veulent bien l’entendre qu’elle n’aura pas peur de dire les choses quand elle le jugera utile.
Elle quitte Sainte-Anne en 1984 pour devenir la directrice générale du Centre culturel franco-manitobain. Le CCFM, qui existe depuis 10 ans, a connu dès ses débuts une histoire tumultueuse. À la tête de cette institution dont la santé dépend surtout des largesses financières de la Province et du Fédéral, elle se lance le défi de rendre la culture francophone plus accessible aux Manitobains en général.
Pour y parvenir, Maria Chaput s’efforce de développer les sources de revenus et de procéder à des rénovations du bâtiment. Après six années à la direction, elle quitte le CCFM en 1990 sur ces mots : « Quand ça fait longtemps que tu as le même poste, tu contribues moins. J’étais à court d’idées. » Mais pas à court d’envie de jouer un rôle actif au sein de la francophonie. Elle se joint à la Société franco-manitobaine. Son dossier principal : la promotion des services en français, à un moment où le ressac de la crise linguistique de 1983-1984 commence à s’estomper.
C’est en qualité d’adjointe à la direction qu’elle quitte la SFM au printemps de 1994 pour prendre en main Francofonds. Un emploi à temps partiel qui la conduit à réactiver sa petite entreprise de pigiste. À son entrée en fonction, elle déclare à La Liberté : « Je veux à mon tour contribuer à cette fondation, bâtir sur ce que les autres ont fait. » Contribuer devient décidément son maître-mot.
Sa plus grande occasion d’apporter sa pierre à la consolidation de la francophonie canadienne est liée au destin personnel de Ronald Duhamel. Le député fédéral libéral de Saint-Boniface, affligé d’un cancer, est nommé au Sénat. L’ex-ministre a à peine le temps de s’initier à ses nouvelles responsabilités. Mais avant de mourir en septembre 2002, il recommande à Jean Chrétien de nommer Maria Chaput.
La décision du Premier ministre tombe dès décembre 2002 : la lignée des sénateurs manitobains francophones va rester ininterrompue depuis 1871. La nouvelle sénatrice avoue bien volontiers qu’elle a tout à apprendre des us et coutumes de la Chambre rouge. En toute fidélité, son intérêt central est bien entendu de faire valoir la voix des minorités francophones du pays. Début 2004, elle est élue présidente du Comité sénatorial permanent sur les langues officielles.
Son activisme est tel que la sénatrice est à nouveau choisie par ses pairs en 2006 pour présider le même comité, chargé d’examiner la place accordée aux langues officielles dans les divers projets de loi proposés par le gouvernement, en l’occurrence celui de Stephen Harper. Mais malgré ses efforts répétés, Maria Chaput, qui vient de quitter le Sénat avant la limite d’âge pour des motifs de santé, n’aura pas réussi à faire adopter son projet le plus cher, dont l’objet est d’élargir la définition de ce qu’est un francophone au niveau fédéral.
Au fil de ses batailles à la Chambre haute, Maria Chaput a développé la conviction profonde que les sénateurs jouent un rôle fondamental dans le système parlementaire canadien. Durant la dernière année, sans doute en guise de testament politique, elle a tenu à défendre ce Sénat si vilipendé où elle a tant cherché, durant 13 années, à assumer la cohérence de son engagement envers la francophonie minoritaire.
Peut-être voudra-t-elle maintenant reprendre sa plume d’écrivaine? Son parcours de vie pourrait sans doute amplement alimenter un roman. Ce pourrait être l’histoire d’une femme qui n’avait jamais rêvé d’être sénatrice, mais qui, pressentie par un homme mourant, a relevé le défi de plonger dans la mêlée politique pour contribuer à l’avancement de la francophonie.