La récente nomination de Raymonde Gagné constitue un signal encourageant qui dit que le gouvernement libéral souhaite que le fond francophone du Manitoba garde une voix indéboulonnable au Sénat, la tribune par excellence des régions et des minorités.

Il s’agit d’un signal encourageant pour au moins deux raisons. D’abord, Justin Trudeau reconnaît une tradition, celle de maintenir intacte la lignée de sénateurs qui, depuis 1871, sont issus de la francophonie manitobaine. Ensuite, le fils de Pierre Elliott Trudeau consolide la valeur symbolique de cette tradition en posant son geste à la première occasion qui lui est donnée. Après tout, le Prince n’aurait pu exprimer son bon vouloir que lorsqu’il comblera, plus tard cette année, les deux sièges manitobains encore vacants; la Province du Milieu ayant constitutionnellement droit à six sénateurs/sénatrices sur les 105 existants.

L’entrée de Raymonde Gagné au Sénat intervient à un moment où l’institution essaye de se dépêtrer des ornières du scandale engendré par les abus financiers, réels ou perçus. La solution retenue par le pouvoir politique pour redorer le blason de la Chambre rouge a été de solliciter des candidatures et de confier à un comité consultatif réputé indépendant le soin de procéder à des recommandations, afin que le Premier ministre puisse à son tour recommander ses choix au Gouverneur général.

Grâce aux circonstances, Raymonde Gagné bénéficie d’un avantage initial : sa nomination est détachée des usuels reproches de favoritisme partisan jetés à la face des sénateurs/sénatrices depuis l’existence même du Sénat. La liste des façons de décrédibiliser les législateurs de deuxième instance est longue. Relevons juste le classique prestige au rabais offert aux bagmen pour services financiers rendus au parti au pouvoir.

L’ancienne rectrice de l’Université de Saint-Boniface n’aura donc pas à dépenser son énergie pour asseoir son indépendance politique. Bien connue dans les milieux de l’éducation, pour s’en tenir au monde de l’enseignement où elle a fait carrière, surtout dans l’administration, la nouvelle sénatrice semble s’être laissée guider dans l’exercice de ses fonctions par l’approche consensuelle. Un pli de tempérament qui lui sera d’une grande utilité pour développer ses réseaux, l’influence étant liée autant à la pertinence des interventions et la crédibilité qui en découle qu’à la qualité des relations personnelles. Une influence certes limitée par la faible légitimité politique du Sénat, comparée à celle de la Chambre des communes. Il n’empêche : Raymonde Gagné dispose dorénavant d’un pouvoir de parole. À elle de faire entendre haut et fort ses convictions.

Lorsque Pierre Elliott Trudeau offrit en 1970 une place au Sénat à Gildas Molgat, l’ancien chef du Parti libéral provincial avait indiqué au Premier ministre qu’il n’entendait pas être un béni-oui-oui. (1) À quoi l’homme du 24 Sussex Drive avait répondu que seul lui importait le oui du natif de Sainte-Rose du Lac. Trudeau subissait déjà alors les contrecoups de sa Loi sur les langues officielles de 1969. L’architecte du Canada bilingue se cherchait des alliés sûrs.

Lorsque Justin Trudeau a téléphoné à Raymonde Gagné le 14 mars, seulement 14 jours après le départ de Maria Chaput, la native de Saint-Pierre-Jolys n’aura pas eu à protester de son indépendance. Et le fils de Pierre Elliott Trudeau n’aura pas eu besoin de lui parler en bien du Canada bilingue. L’engagement de la Manitobaine étant à cet égard d’évidence au-dessus de tout soupçon de tiédeur.

Raymonde Gagné est aussi très bien placée pour savoir que le bilinguisme canadien officiel introduit en 1969 n’est qu’un bilinguisme de concession. Année après année, les rapports du Commissaire aux langues officielles en font la preuve. Surtout, toute l’histoire du Manitoba nous rappelle qu’une unité canadienne sereine ne sera possible que lorsqu’une très large partie de la population pensera en terme d’un bilinguisme d’adhésion.

L’ex-sénatrice Maria Chaput a souvent fait valoir que le Sénat doit absolument retrouver une toute nouvelle crédibilité du fait qu’il est le protecteur historique des droits des minorités. Raymonde Gagné, pour symboliser sa volonté d’être une rassembleuse, a choisi d’être photographiée par La Liberté à côté de la tombe de Louis Riel, le rassembleur d’entre les rassembleurs.

Madame la sénatrice dispose dorénavant d’une tribune exceptionnelle pour faire comprendre aux Canadiens et Canadiennes qu’il n’y a rien de plus ouvert, de plus canadien que la pensée métisse à l’origine de notre province. Souhaitons que sa volonté de servir notre pays contribue à faire évoluer les mentalités vers un bilinguisme moderne, un bilinguisme d’adhésion.

(1) Gildas Molgat a remplacé le très libéral Arthur-Lucien Beaubien, nommé en 1940, et qui avait démissionné en 1969 à l’âge de 80 ans, avant que la limite d’âge ne soit fixée à 75 ans.