Par Bernard Bocquel
La Liberté du 20 avril 2016
Il ne fait déjà aucun doute que bien des bonnes volontés vont s’exprimer lors du Grand rassemblement du samedi 23 avril, cette nouvelle étape dans le cadre des États généraux de la francophonie manitobaine. Il sera intéressant d’observer non seulement la manière dont les participantes et participants vont faire valoir leurs convictions, mais aussi avec quel choix de mots.
Inutile de parier que « francophonie et francophone » se retrouveront parmi les mots les plus utilisés de la journée. La raison est évidente. Depuis une vingtaine d’années, avec la montée en puissance du phénomène des écoles d’immersion et l’arrivée officiellement désirée d’immigrants parlant le français, « francophone » est devenu une espèce de mot neutre, qui n’est pas lesté du bagage culturel que porte l’adjectif « franco-manitobain ».
Un autre mot en vedette sera probablement celui de « communauté », déclinable en plusieurs versions, dont celles de « communauté franco-manitobaine » et « communauté francophone ». La version « communauté francophone » étant censée reconnaître que dans « franco-manitobain » niche une façon particulière de comprendre des mots, des expressions. Il est de fait évident que certaines manières « franco-manitobaines » de dire peuvent parfois concentrer en elles tout un vécu, toutes sortes de réflexes sociaux et culturels.
« Franco-manitobain » résume aussi toute une histoire qu’un immigrant et tout autre natif du pays gagneraient à connaître, au moins dans les grandes lignes. Une histoire à connaître, à assumer, et dont l’évolution arrive à un point clé de mise en perspective. Une très longue histoire qui commence avec la Nouvelle France, qui se poursuit avec un Canada français qui tient à se tailler une place dans l’Empire britannique. Une histoire qui continue à travers un Canada français qui étouffe à la fin des années 1960 par la volonté des Québécois de n’être que québécois, entraînant alors les jeunes Canadiens français du Manitoba à s’affirmer franco-manitobain.
Et afin de pouvoir s’affirmer avec conviction « franco-manitobains » durant les années 1970, les baby-boomers, sans même y réfléchir, exactement comme on respire, ont intériorisé la nécessité de lier la notion de « communauté » à l’idée d’être « franco-manitobain » plutôt que « canadiens-français » de parents « canadiens-français ».
Ces baby-boomers n’ont pas eu besoin de réfléchir à l’association des mots « communauté » et « franco-manitobaine » pour la simple et bonne raison que le concept de « communauté » connaissait alors une grande faveur internationale. Le mot est à vrai dire commode dans un monde déjà en mutation. Ainsi « communauté » devint synonyme ou remplaçait aisément des entités comme la paroisse, le village, auxquels les jeunes s’identifiaient. Car auparavant on était de telle paroisse, on venait de tel ou tel village. Dans ces années 1970, par désir de survivre, par besoin de s’unir, on se réclamait de la « communauté franco-manitobaine ».
Les militants de la cause française à l’époque sentaient bien que le concept « communauté » contenait une forte charge spirituelle. Là encore, l’explication est simple : au Manitoba français jusqu’à la fin des années 1960, le mot de communauté est réservé aux congrégations religieuses, aux « communautés ». Les religieuses et les religieux utilisaient ce mot qui les unissaient parce qu’à leurs yeux, c’est l’Esprit même qui avait suscité une fondatrice ou un fondateur à créer la communauté à laquelle elles ou ils adhéraient de toute leur âme (enfin idéalement).
Les élans des grandes causes défendues dans les années 1970 ont tiédi au fil du passage des décennies, souvent cependant après avoir donné des résultats appréciables, au compte desquels il faut mettre une partie de la francophonie institutionnalisée d’aujourd’hui. À quelques reprises dans le rapport sur les cafés citoyens rédigé par des chercheurs de l’USB, sous plusieurs formes est revenue la suggestion de restructurer des organisations au service de ce qu’il est encore convenu d’appeler la « communauté », qu’elle soit franco-manitobaine ou francophone. Mais n’est-ce pas au fond chercher à mettre la charrue avant les bœufs?
Il serait d’abord en effet beaucoup plus avisé de sérieusement s’interroger sur la nature de l’esprit capable d’assurer l’existence d’une véritable communauté humaine, en l’occurrence celle des personnes qui veulent se donner un avenir bilingue français-anglais/anglais-français au Manitoba.
Car chez nous « franco-manitobain » et « francophone » sont bien deux adjectifs qui signifient « bilingues », non? Et combien existe-t-il de manières de concevoir « la communauté »? Un consensus est-il envisageable, souhaitable? Autant de réponses essentielles à obtenir sur le chemin de l’AGA de la SFM, qui se tiendra en octobre ou novembre.