PROJET DE LOI 5 – Réflexions sur un consensus politique historique
Un commentaire par Bernard BOCQUEL
Il arrive que des moments historiques se fassent sans grand bruit. Ce qui jusqu’à présent était particulièrement bon signe quand il s’agissait de la question française au Manitoba. Mais la discrétion ne semble plus de rigueur.
Au point où ses acteurs politiques ont estimé nécessaire d’organiser dès le passage en Chambre de la Loi 5, le jeudi 30 juin, un évènement devant le monument de Louis Riel pour permettre aux médias de mieux faire comprendre au grand public la solennité tranquille du moment vécu l’avant-veille.
Car l’étape décisive du retour en grâce consensuel de la langue française dans les affaires publiques manitobaines s’est déroulée mardi 28 juin, entre 18h et 21h, dans la Salle 255, située au deuxième étage du Palais législatif. Un lieu merveilleux d’équilibre, avec son très haut plafond, ses colonnes, ses fenêtres imposantes, ses peintures d’anciens Premiers ministres tellement plus grandes que nature.
Un lieu où même l’élu politique conscient de son pouvoir ressent qu’il n’occupe qu’une place toute relative autour de l’immense table qui réunissait les membres du Comité permanent des Affaires législative pour étudier en deuxième lecture, selon le rituel bien établi, deux projets de loi.
Le premier à l’ordre du jour : le projet de loi 3, une Loi modifiant la Loi sur la santé mentale. Les élus de la majorité comme de l’opposition ont entendu quelques présentations des porte-parole d’importantes organisations en faveur des modifications proposées ou soucieuses de faire part de leurs inquiétudes. Parmi les interventions, il y avait celle du président de l’Association des municipalités du Manitoba, le maire bilingue de Steinbach, Chris Goertzen; une représentante du syndicat des employés de la fonction publique du Manitoba, une autre du syndicat des infirmières.
Les places assises disponibles pour le public étaient toutes occupées, mais déjà surtout par des personnes qui attendaient patiemment que les élus passent à l’étude du projet de loi 5, la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine. Les retardataires devaient se tenir debout.
Quatorze personnes se sont présentées au micro. La plupart des interventions ont été faites au nom d’une organisation francophone, quelques-uns se sont exprimés à titre personnel, comme Ibrahima Diallo, sénégalais d’origine, au Manitoba depuis plus de 30 ans. Témoin privilégié de l’évolution de la société à l’égard du fait français dans la province, ce francophone engagé a affiché son optimisme pour l’avenir.
Les présentations étaient toutes assez courtes, mais suffisamment longues pour dire aux élus présents, et à la ministre des Affaires francophones Rochelle Squires en particulier, tout le bien qu’ils pensaient de l’initiative gouvernementale, qui reprenait au bond le projet de loi déposé par le gouvernement Selinger et qui dû subir la mort au feuilleton pour cause de fièvre électorale. Le ton était décidément à la reconnaissance et à l’espoir.
Au nom de la Commission scolaire franco-manitobaine, son président, Bernard Lesage, a quand même soulevé quelques préoccupations concernant les responsabilités de la DSFM à l’endroit du gouvernement et la définition de ce qu’est un francophone selon la presque Loi 5. Dans la foulée de sa présentation, la ministre, visiblement consciente des inquiétudes des commissaires d’écoles franco-manitobains, a apporté sa part de clarification.
Toutes les présentations étaient acquises au projet de loi 5. Aucune espèce de tension ne flottait dans l’air. À part la chaleur qui alourdissait un brin l’atmosphère, largement compensée par la monumentale Salle 255, tout portait à la sérénité. Le ton était plus que jamais à la réconciliation. Le passage de trois décennies et de l’introduction progressive de services en français dans l’appareil gouvernemental manitobain par des gouvernements progressistes-conservateurs et néo-démocrates avait déjà beaucoup fait pour progressivement apaiser les esprits survoltés lors de la crise linguistique de 1983-1984.
Du côté des législateurs comme des citoyens engagés présents dans la salle, une presque complicité devenait palpable, surtout suite aux applaudissements après le vote, clause par clause, du projet de loi 5. Il était 20h57 à la clôture des travaux. La messe législative était virtuellement dite. Il n’y avait plus d’ombre au tableau, les ultimes craintes de voir ressurgir un cauchemar du passé étaient dissoutes.
Pourtant, comme il aurait été bon d’entendre sur le projet de loi 5 les avis des personnes intervenues sur le projet de loi destiné à modifier la Loi sur la santé mentale. Comme il aurait été encourageant d’entendre le président de l’Association des municipalités du Manitoba appuyer en principe le projet de loi 5, surtout que le très sympathique Chris Goertzen connaît très bien l’Association des municipalités bilingues du Manitoba.
Comme il aurait été encore plus encourageant d’entendre les opinions, préoccupations, réticences potentielles des porte-parole du syndicat des employés de la fonction publique manitobaine et des infirmières de la province. Car ce sont bien ces leaders d’opinion-là dont il faut souhaiter l’ouverture d’esprit afin que le français progresse dans l’espace public de la Province du Milieu.
La Loi 5 prévoit que la ministre responsable des Affaires francophones joue un rôle actif dans l’effort de normalisation du français. La bonne volonté clairement manifestée par la ministre Rochelle Squires, qui a tenu à souligner qu’elle avait pleinement conscience de la portée canadienne de cette loi, est sans nul doute le signe le plus encourageant de son impact potentiel, à moyen terme.