La Liberté ÉDITO

Par Bernard Bocquel

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La Liberté du 13 juillet 2016

«LA BONNE VOLONTÉ L’EMPORTE. À l’unanimité les députés manitobains consolident le bilinguisme au Manitoba ». Ainsi résumions-nous la semaine dernière dans un gros titre à la Une de La Liberté le passage de la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine, la Loi 5.

En éditorial, nous avions envisagé cette étape historique dans le long, lent et progressif retour en grâce de la langue française dans la sphère publique manitobaine comme « Un autre test de maturité ».

En effet, la bonne volonté des députés est une chose, la maturité de la société manitobaine en général et des usagers potentiels des services en français en est une autre. Nous revenions en particulier sur le vote, lui aussi unanime, de la Loi 113 qui rétablissait le plein droit à l’enseignement en français. C’était le 16 juillet 1970, au lendemain de la naissance officielle du Manitoba, cent ans auparavant, le 15 juillet 1870.

Une succession de dures batailles pour l’obtention d’écoles françaises prouva par la suite que le Manitoba métis des origines était devenu une province anglophone, où l’usage du français relevait d’une espèce de lubie patriotique en faveur de la survivance de la « race canadiennefrançaise». Une fixation nationaliste ancrée dans la psyché de quelques milliers de personnes bien souvent rongées par le doute, mais sans cesse éperonnées par une poignée de convaincus. Les tièdes pouvaient bien être pardonnés puisque le gouvernement et les tribunaux manitobains ne parlaient plus que l’anglais depuis 1890.

Et puis d’ailleurs au début des années 1970 rien ne pouvait laisser entrevoir que Georges Forest, un Métis animé par un fol entêtement, réussirait à obliger en décembre 1979 la Cour suprême du Canada à déclarer anticonstitutionnel le Official Language Act de 1890. Ce qui revenait à reconnaître que le gouvernement du Manitoba et ses tribunaux n’auraient jamais dû cesser de parler aussi en français.

La Loi 5 du 30 juin 2016 ne contient absolument pas la garantie que le gouvernement manitobain va pour toujours s’efforcer de s’adresser en français dans certaines circonstances et dans la mesure du possible à ses administrés qui le veulent. La Loi 5 a cependant une portée historique dans le sens où elle va vraiment permettre de mieuxcerner l’évolution des mentalités en faveur de l’usage du français.

La bonne volonté, la maturité politique dont l’ensemble des élus au Palais législatif a fait montre va-t-elle trouver une résonnance au sein de ce que la loi appelle en anglais « Francophone Community » et en français « Francophonie manitobaine »?

Le test de volonté parmi les utilisateurs potentiels du français sera d’autant plus concluant dans un sens ou un autre que les législateurs ont élargi la définition de ce que peut être un francophone. Il n’est en effet plus nécessaire d’être issu de la francophonie historique pour demander à son gouvernement de lui parler en français.

Une décision essentielle et logique quand on pense à la volonté gouvernementale, manifestée depuis une bonne décennie autant par Ottawa que le gouvernement provincial, d’accueillir un pourcentage d’immigrants dont le français est la langue de communication. La Loi 5 aurait tout aussi bien pu être sous-titrée Loi de bienvenue à l’immigration francophone.

Ces immigrés savaient avant de venir, ou alors ils l’ont vite compris en s’installant, que vivre une pleine vie au Manitoba exige à un moment donné de posséder à un certain degré la langue anglaise. Leur souci de bien s’intégrer économiquement dans leur pays d’adoption fait qu’ils sont aussi très conscients, eux qui connaissent déjà souvent au moins deux langues, de l’avantage, sinon de l’impératif, d’être bilingue français-anglais.

Au Palais législatif l’après-midi du 30 juin, quelques heures avant que le projet de loi 5 ne se transforme en loi 5, la ministre aux Affaires francophones avait clairement indiqué aux quelque 80 personnes qui s’était déplacée pour l’applaudir qu’elle mesurait la dimension canadienne de la loi.

Il était cependant quand même trop tôt pour que La Liberté titre à l Une de la semaine dernière « LA BONNE VOLONTÉ CANADIENNE L’A EMPORTÉ. À l’unanimité les députés manitobains ont consolidé le bilinguisme au pays ». Simplement, les députés se sont donné une meilleure chance de faire du Manitoba la province canadienne par excellence.