Par Daniel BAHUAUD

Au début du mois de juin, Santé Sud supprime un poste de coordonnatrice des services en français. Le 11 juillet, l’Office régional de la Santé de Winnipeg annonce la fermeture de quatre des cinq cliniques express de la ville, dont deux sont désignées bilingues. Qu’en dit la Loi 5?

 

Adoptée à l’unanimité le 30 juin 2016, la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine a pour objet de favoriser le développement de la francophonie, notamment par l’adoption de plans de service en français des ministères et organismes gouvernementaux, par les activités du Secrétariat aux Affaires francophones et par le maintien d’un dialogue avec la communauté francophone, par le biais d’un Conseil consultatif (Loi 5, Article 2).

La Loi 5 se veut également animée par l’offre active, qui préconise « des services accessibles et de qualité comparable à ceux offerts en anglais » (Loi 5, Article 3). Et par le principe du progrès, c’est-à-dire « l’augmentation graduelle de la gamme des services en français » (Loi 5, Article 3).

Mais la Loi 5 peut-elle freiner, voire même empêcher l’élimination de postes bilingues, ou encore la fermeture d’établissements désignés bilingues?

Me Rénald Rémillard, juriste manitobain, croit que non :

« La Loi 5 porte principalement sur la livraison de services en français. Quand un gouvernement exige des compressions budgétaires et que les Offices régionaux de la santé coupent par conséquent des postes, la question principale à se poser est l’impact de ces mesures sur les services. Est-ce que les changements requis par le gouvernement ont des conséquences importantes ou non?

« L’élimination du poste de coordonnatrice des services en français à Santé Sud, à mon avis, est une décision opérationnelle, qui n’affecte pas la vision globale linguistique de cet ORS, qui est toujours appelé à élaborer des plans de services en français, en vertu de la Loi 5. »

Lorraine Grenier, la directrice régionale chargée des communications et des services en français à Santé Sud est du même avis. « On a plus de 600 postes désignés bilingues. Notre personnel et nos gestionnaires s’assurent que les services en français sont offerts sur le terrain. De plus, on évalue la livraison des services en français chaque année. Nos lunettes francophones sont bien propres. »

Et dans le cas de la fermeture de cliniques express? Selon Me Rénald Rémillard, il s’agirait d’une « zone grise ».

« La Loi 5 est relativement jeune. Elle n’a pas encore fait l’objet d’un jugement en cour. En évoquant l’offre active, on pourrait être porté à vouloir remettre en question la décision. Mais le service que propose l’ORS est-il comparable à ce qui existait auparavant? En un sens, on pourrait lancer l’argument qu’il l’est. On pourrait dire que l’ORS a entrepris des démarches raisonnables pour respecter la Loi 5. Et que quantitativement, il n’y a pas eu un recul des services, mais plutôt une concentration des services. »

Le juriste évoque également un principe juridique essentiel dont toute lecture de la Loi 5 devrait tenir compte : l’autorité de la branche exécutive du gouvernement d’établir ses politiques et de gérer ses services.

« Le gouvernement veut réduire ses dépenses. Il doit avoir la marge de manœuvre requise pour y arriver, y compris des restructurations et des fermetures d’établissements. Dans le passé, les tribunaux, en examinant les décisions du Fédéral, ont accordé cette marge de manœuvre au gouvernement, pourvu que les changements n’atteignent pas les obligations en matière des langues officielles.

« La Cour d’appel de l’Ontario a défendu en 2001 l’existence de l’Hôpital Montfort, un établissement francophone alors menacé de fermeture par le gouvernement conservateur de Mike Harris. Mais elle a précisé qu’une fois établis, les services en français pouvaient toutefois prendre du recul. »

Teresa Collins, la directrice du Secrétariat aux Affaires francophones, estime qu’il « n’est absolument pas question de reculer » au Manitoba. « Il y a eu bien des changements dans la livraison des soins de santé, effectués pour des raisons financières. Mais la Loi 5 permet de ne pas oublier les besoins des francophones (ndlr : l’Article 6 d) de la Loi 5).

« En fait, elle oblige les ministères, les régies et autres organismes gouvernementaux à offrir des services et à dresser des plans de livraison de services. Depuis mon entrée en fonction, le 1er décembre 2016, j’ai rencontré 24 sous-ministres, sous-ministres adjoints et autres hauts fonctionnaires, pour leur rappeler leurs obligations et les aider à rédiger leurs premiers rapports annuels, exigés par la Loi 5. Ces plans doivent être en place dès le 1er avril 2018. J’ai déjà reçu sept brouillons. Ils sont, je crois, le fruit de nos conversations positives.

« Et lorsque le gouvernement a annoncé, le 28 juin, la création de la Régie des services de santé partagés du Manitoba, j’ai tout de suite contacté Dan Skwarchuk, le sous-ministre adjoint et chef de la direction financière du ministère de la Santé. Je lui ai rappelé les besoins des francophones. Et je sais qu’en vertu de la Loi 5, il est tenu de m’écouter. En fait, il était ouvert et favorable à mes propos. Il a compris les enjeux. »

Dans le cas des changements au sein des ORS, Teresa Collins souligne qu’ils « ont fourni l’occasion d’avoir des conversations et de trouver des nouvelles solutions par rapport à la livraison des services en français ». « Les ORS sont obligés d’avoir, eux aussi, des plans qui comprennent les services en français. L’ORS de Winnipeg entame l’année prochaine sa planification stratégique. C’est un excellent temps pour discuter des besoins des francophones. »

La Loi 5 prévoit aussi un dialogue avec des représentants de la communauté francophone, par le biais du Conseil consultatif. Pour Teresa Collins, c’est « un mécanisme essentiel ». « Nous nous réunirons pour la troisième fois en 12 mois le 18 septembre prochain. Je suis certaine que la santé sera un des principaux sujets de discussion. »

Ce que souhaite l’un des architectes de la Loi 5, le député néo-démocrate de Saint-Boniface et ancien Premier ministre Greg Selinger. « La conversation continue avec le Conseil consultatif permet de tâter le pouls de la communauté. Pour voir ce qui est acceptable et ce qui est peut-être non négociable. Personnellement, je crois qu’il n’y a aucun doute que le gouvernement Pallister n’a pas encore intégré l’esprit de la Loi 5 dans ses efforts de réduire les dépenses. Mais il faut cette consultation, cette conversation entre des représentants de la communauté, les sous-ministres et le greffier par intérim, Fred Meir. Parce qu’à la base, une consultation est un processus politique. C’est une réalité à négocier. »