Attendu ce samedi 21 octobre au Burton Cummings Theatre de Winnipeg pour la tournée « Just for laughs », Sugar Sammy arrive avec le statut d’humoriste international. De retour de France, où son humour taquin a su remplir les salles depuis l’automne 2016, le Montréalais ne peut se contenter d’un seul continent, ni d’une seule langue. Avec déjà plus de 1 500 spectacles joués dans 29 pays, en quatre langues différentes (1), il incarne le stand-up d’aujourd’hui et de demain. La Liberté s’est entretenue avec lui.

Par Léo GAUTRET

La Liberté : Comment avez-vous vécu votre première expérience en France?

Sugar Sammy : J’ai adoré. Je pense qu’ils ont été surpris par mon point de vue canadien, mon côté provocateur. À chaque spectacle ça surprend un peu les gens au début. Et puis une fois qu’ils embarquent, je les garde jusqu’à la fin du spectacle. Je me suis beaucoup amusé à Paris et j’ai déjà hâte d’y retourner.

Quand vous prenez du recul sur votre carrière, les 1 500 spectacles que vous avez déjà joués à travers le monde, est-ce qu’il y a une image de vos débuts qui vous vient en tête?

À mes débuts, je galérais pour essayer d’avoir au moins cinq minutes sur la scène, de faire des plateaux d’humour à Montréal. Je travaillais fort pour avoir ces quelques minutes. Toutes les six semaines on m’appelait pour faire un « open mic » pour lequel je n’étais pas payé. À l’époque je pensais que j’allais devenir un humoriste qui allait faire du stand-up dans les clubs anglophones, avoir une carrière à Toronto, New-York où j’avais fait le tour des comedy clubs. C’est ça que j’envisageais. Mais aujourd’hui je me considère comme très chanceux d’avoir pu voyager internationalement en faisant ce que j’adore. En touchant plus de gens que je n’aurais jamais pu imaginer.

Est-ce que ce jeune humoriste ne vous dirait pas aujourd’hui que ce que vous faites est complètement fou? De vouloir être présent sur tous les continents, et de faire un spectacle qui marche aussi bien en français qu’en anglais?

Oui complètement. Même parfois quand je continue à vouloir élargir encore plus mon public, que je sens que je peux aller encore plus loin, je me dis qu’il faut que je m’arrête pour apprécier où je suis déjà rendu. Parce que je n’aurais jamais pu imaginer il y a vingt ans que j’en serais ici aujourd’hui, de continuer à vivre de la scène. Pour moi, le rêve c’était de pouvoir monter sur la scène tous les jours si je voulais, où je voulais, dans n’importe quel contexte. Juste ça, c’est déjà énorme.

Vous venez ce samedi 21 octobre à Winnipeg pour ta tournée « Just for laughs ». Notre journal représente la vitalité de la francophonie en situation minoritaire. Qu’est-ce que vous pensez justement de cette question de la langue au Canada? Ça peut prêter à rire pour vous?

Pour moi, ce n’est pas le côté linguistique dont je ris. Je pense rire plus en voyant comment des fois cette question de langue est utilisée pour diviser les gens. C’est là que ça devient pour moi un sujet qui pourrait être abordé, quand la langue est utilisée pour la politique. Sinon je trouve que c’est une richesse d’être bilingue, voire multilingue. J’ai grandi dans un quartier à Montréal qui est le plus multiculturel du Québec (le quartier de Côte-des-Neiges, ndlr). Alors ces gens qui disent qu’il ne faut apprendre qu’une langue, pour nous, même deux ce n’était pas assez. Tous les gens que je connaissais parlaient au moins trois langues. Pour moi plus tu parles de langues, plus ça t’ouvre des portes partout. Je ne serais pas l’humoriste que je suis aujourd’hui si je ne parlais pas autant de langues. Je veux même encore apprendre l’espagnol et le portugais quand j’aurai le temps pour pouvoir aller jouer en Amérique latine. C’est le seul continent que je n’ai pas encore touché pour l’instant.

« Un humoriste a du succès
à la seconde où il commence
à être curieux »
Sugar Sammy

C’est très important pour vous de vous nourrir des différentes cultures et sociétés que vous rencontrez?

Oui j’adore, c’est le plus intéressant. Un humoriste a du succès à la seconde où il commence à être curieux, qu’il veut apprendre d’une autre culture au lieu de nier son existence. Je pense que, comme humoriste, il faut penser comme ça. Parce que dès que tu penses comme ça, tu es capable de créer le pont de toi vers une autre culture très très vite. Et c’est ce que j’ai fait en France aussi. C’est important pour moi, je pense que c’est ce qui m’alimente le plus. D’avoir ce point de vue comme qui dirait d’anthropologue. De toujours être à la recherche du savoir, et d’aller encore plus profondément à la rencontre de chaque culture et de chaque pays. Je ne veux pas passer ma vie à ne pas apprendre quelque chose de nouveau.

En ça, l’humoriste à un rôle à jouer dans la société, pour débrider certaines choses en faisant rire avec des sujets compliqués?

Ça peut devenir ça, mais je pense que ça ne devrait pas être le but primaire. Dès qu’un humoriste commence à penser de cette manière, c’est qu’il commence à se prendre un peu trop au sérieux. Il ne faut pas que l’humour devienne des serments, il faut que ça reste léger. La première chose que les gens veulent quand ils viennent à un spectacle d’humour, c’est rire. Et puis les sujets viennent en fonction des centres d’intérêt de l’humoriste. Si un humoriste parle de politique alors que ça ne l’intéresse pas, ça se voit tout de suite. Des gens comme Jerry Seinfeld ou Gad Elmaleh ne parlent jamais de politique dans leurs spectacles mais ils font quand même rire.

Pour en revenir à la langue, est-ce qu’il y a une différence entre jouer en anglais et en français au niveau du stand-up?

C’est plus une adaptation culturelle que linguistique. Il faut faire attention aux références dans chaque pays et régions. Alors je lis des bouquins, je vais dans la rue, j’observe, j’écoute, je pose des questions aux gens qui sont là. C’est en vivant qu’on apprend. Par exemple en France les spectateurs me demandaient : « On a vu ton spectacle, comment tu nous connais autant? » Je leur réponds que je les ai subis pendant un an et demi, alors je sais de quoi je parle. En France ce n’est pas vivre avec les Parisiens, mais les subir (rire).

Êtes-vous frustré parfois de ne pas pouvoir aborder certains sujets, ou cela représente plus un défi pour vous?

Je le vois plus comme un défi. S’il y a une limite à ne pas franchir, je vais essayer de jouer avec. C’est là que se trouve la finesse d’écriture pour un humoriste. De voir où se situe cette ligne, et de se dire : « Ok, je veux parler de ça, je sais que c’est un peu tabou. Comment est-ce que je vais faire pour pouvoir en parler, dépasser un peu cette ligne, tout en soulageant mon public. En les faisant rire sur ce sujet. » Ça devient un travail énorme, et on apprend en faisant des erreurs. Mes héros de l’humour ont toujours eu cette approche.

À qui faites-vous référence?

Avant tout Eddie Murphy. Son premier spécial dans les années 1980, c’est là où ma volonté de devenir humoriste est venue. J’ai toujours aimé les humoristes américains noirs. Des gars comme Dave Chappelle, Chris Rock. Et puis après ça j’ai aussi commencé à apprécier l’humour britannique avec Ricky Gervais, Sacha Baron Cohen, qui font la même chose mais avec une approche différente.

Est-ce que pendant votre processus d’écriture vous testez en permanence vos blagues sur un public? Vos proches par exemple?

Mes proches en premier, c’est sûr. Ma copine, mon frère, ma sœur, des amis et après j’amène ça sur la scène dans des petits comedy clubs. Je fais aussi des spectacles secrets pour mes fans un peu partout. Des gens qui s’inscrivent sur mon site, sur mon Facebook. C’est là que je teste dans des petites salles de 90, 100 personnes, et où commencent à naître les grands spectacles.

Vous marchez aux défis, quels sont les prochains pour vous ?

De continuer à bâtir mon public français, en lui proposant quelque chose de nouveau, d’original. Après ça, de continuer à faire d’autres pays, et d’agrandir toujours plus mon public, une personne à la fois.

(1) En anglais, en français, en hindi et en punjabi (en Inde).