Repartir de zéro. Ranger son statut d’icône et retourner dans l’anonymat. Il y a deux ans, Gad Elmaleh débutait son pari : faire rire en anglais. Une langue qu’il apprivoise à chaque représentation d’«Oh my Gad! », ce spectacle qui l’emmène ce dimanche sur la scène du Burton Cummings Theatre de Winnipeg. En pleine tournée canadienne, l’humoriste s’épanche sur ce choix d’un renouveau qui lui est vital.
Par Léo GAUTRET
Entretien réalisé le 03/11/17
La Liberté : Depuis décembre 2016 vous vous produisez en anglais à travers les États-Unis. Début novembre vous avez entamé votre tournée canadienne à Calgary, toujours en anglais. C’est agréable de pouvoir parler en français?
Gad Elmaleh : Ça fait du bien, ça repose! Parler l’anglais c’est super mais comme je le dis dans mon show, ça épuise de traduire en permanence. On n’a pas non plus les mêmes réflexes. Mais en rigolant je disais justement à une journaliste anglophone américaine : « Si vous saviez comme j’étais intelligent et profond en français, « I can’t be really smart in english ». (Rire)
Comment se passe votre tournée en Amérique?
Très très bien! J’étais à Los Angeles la semaine dernière. Là c’est la tournée canadienne, et je retourne à New York encore pour terminer ce spectacle « Oh my Gad! » qu’on va enregistrer pour Netflix au Town Hall le 18 novembre. Ces dates me préparent pour ça. Mais je dois dire que je découvre le Canada finalement parce que même si j’ai vécu au Québec à Montréal, je suis par exemple très curieux de découvrir Winnipeg que je ne connais pas du tout. La seule image que j’ai de cette ville c’est le hockey. Je ne connaissais pas non plus Calgary, Edmonton, Ottawa. Par contre je connaissais Vancouver. Je suis très impatient de découvrir tout ça.
Vous touchez au but avec ce spectacle?
Je pense que c’est un spectacle très autobiographique, et comme tous les shows qui sont autobiographiques, à un moment donné, on les dépasse. C’est à dire qu’on vit la vie qu’on a à vivre là où on doit être. Moi en l’occurrence c’est aux États-Unis en tournée. Avec des allers-retours avec la France, parce que ma famille est là-bas. À un moment donné on se rend compte que le matériel qu’on a ne colle plus à la réalité, et qu’il est temps d’avancer, de changer. Mais c’est ce que j’ai toujours fait même avec mes shows en français. Mon premier spectacle traitait de l’immigration et du voyage du Maroc au Canada et du Canada à la France. Le deuxième traitait de la paternité parce que j’étais devenu papa. Le troisième de la notoriété… Là c’est le côté expat, je viens d’arriver aux États-Unis, starting over. Tout ça c’est super mais à un moment donné j’évolue et puis je m’adapte vraiment à la vie américaine. Je suis toujours très touché qu’il y ait toujours beaucoup d’expatriés qui viennent me voir parce que cette histoire leur parle.
“La volonté de séduire ceux qui ne vous connaissent pas, d’aller vers quelque chose qui est moins facile, c’est très agréable.”
À 5 ans, vous rêviez de devenir « une sorte de Michael Jackson ». Est-ce toujours cette idée qui vous guide aujourd’hui jusqu’en Amérique?
Je crois qu’il y a plusieurs choses. Il y a l’insatiable envie de toujours vouloir faire plus grand, plus fort, meilleur, plus loin. Ça c’est en moi et c’est comme ça. Alors il me faudrait des heures pour expliquer tout ça, c’est psychanalytique. Le petit enfant qui est en moi, qui veut rendre fiers ses parents. Je me souviens du discours de Vincent Lindon il y a deux ans quand il avait reçu un prix d’interprétation au festival de Cannes. Les larmes aux yeux il avait dit : « Quand je pense que j’ai fait tout ça pour mes parents, et aujourd’hui ils ne sont pas là pour le voir. » Ça m’avait bouleversé. Mais le grand plaisir que j’ai de faire ce nouveau projet en anglais c’est de tous les jours être excité d’aller au travail. C’est quand même un bonheur. Je l’avais il y a 23 ans quand j’ai démarré le métier, mais je ne veux pas le perdre. Venir à Winnipeg, la ville la plus froide du monde, c’est un challenge aussi (rire). Découvrir d’autres villes, d’autres communautés, d’autres publics c’est super excitant et enrichissant. C’est la découverte du monde. Moi je n’aime pas rester dans ce que je sais faire, dans mon confort. Je n’ai pas envie d’être confortable.
Vous chassez la routine qui peut s’installer sur scène, comme pour tout couple qui veut durer?
C’est une très bonne image. Dans ce cas là on va dire que le public français c’est ma femme, le public américain ma maîtresse, et le Maroc c’est ma mère. La volonté de séduire ceux qui ne vous connaissent pas, d’aller vers quelque chose qui est moins facile, c’est très agréable.
Le rire de ceux qui ne vous connaissent pas est d’autant plus appréciable…
Complètement. J’avais fait ce comparatif avec une femme qui ne sait absolument pas que je suis connu dans un autre pays, ou que j’ai de l’argent, et qui m’aimerait quand même. C’est tellement flatteur. Alors quand je suis cynique je dis que ça n’existe pas, que ce n’est pas vrai. Mais pourtant je continue à croire qu’une femme peut continuer à m’aimer pour ce que je suis profondément. Là en ce moment je sais pas, peut-être que je la trouverai à Winnipeg ou sur les routes du Canada (rire).
Votre but ultime n’est-il pas finalement le séduire plus que de faire rire?
Je crois qu’il y a un peu de ça en effet. On veut obtenir des résultats en quelques sortes, donc c’est travail de séduction. Mais c’est aussi un travail de solitaire. Je ne vais pas vous sortir le mythe de l’artiste seul après avoir quitté la scène, mais il existe. Surtout en tournée en Amérique du Nord, il y a ce côté un peu solitaire. J’aime tellement ça. J’aime tellement mon métier, monter sur scène. Je me souviens, j’avais lu l’interview d’un comique américain qui disait : « J’attends que la nuit tombe parce que je sais que c’est là que je vais aller faire rire ». Ça me parle tellement. C’est là place où on est le plus heureux du monde.
“c’est un mélange d’humilité et de sacrée ambition, presque mégalo.”
Même loin de ses proches, de sa famille? Est-ce que courir après ses rêves ce n’est pas parfois se rendre la vie plus difficile?
… On pourrait en faire un livre (rire). C’est une vraie question. C’est peut-être pour me rassurer que j’ai trouvé la réponse que je vais vous donner, mais je préfère que mes enfants aient un père heureux et épanoui, qu’ils le voient moins, plutôt qu’un papa qui soit véner à la maison. Qui n’ai qu’une hâte, c’est de se casser de la maison pour aller faire des shows. Donc il y a une forme d’égoïsme peut-être, même si je les aime plus que tout et que j’essaie de passer un maximum de temps avec eux. Là je les ai réunis on était tous en Californie. Mais je dois dire que je ne les vois pas autant qu’un papa « normal ». J’ai besoin de les voir et eux aussi. Le petit il a trois ans donc c’est très très dur à chaque fois de se séparer, mais je fais beaucoup d’allers-retours. Maintenant c’est bien plus facile de voyager, même si c’est fatiguant. Mais ils ont un papa heureux, et quand ils le voient, il a accompli des choses qu’il aime et il peut donc leur donner plus.
Cette année vous êtes monté pour la première fois sur la scène du Carnegie Hall de New-York. Votre maman était présente et a avoué ressentir le même trac que lors de vos premiers spectacles. C’est aussi ce que vous recherchiez? Ces sensations des premières scènes?
C’est pour ça que je fais ce challenge, pour l’excitation que ça me procure. Oui j’ai encore le trac, même si il est différent. Et pour être tout à fait honnête parfois je me dis : « Mais Gad t’a rien à perdre. Au pire qu’est ce qui peut se passer? Tu ne les fais pas rire? Bon bah tu rentres chez toi.» Surtout avec le public américain dans les comedy clubs où ils n’ont aucune idée de qui je suis. Mais je dois dire une chose importante. Ce projet que je fais en anglais, il a été possible grâce à mon public de base qui m’a donné de l’expérience, du courage, de la force, de la technique. J’ai une histoire avec eux. C’est assez bizarre comme truc, mais si je réussi ce projet en anglais, je le dois aussi à mon public francophone. Quelque part c’est une chaine.
Vos amis comprennent cette envie que vous avez, ce défi que vous vous lancez?
Certains ne comprennent pas du tout. Je me rappelle de discussions à mourir de rire avec Jamel Debbouze qui me disait : « Mais qu’est ce que tu vas foutre là-bas mon frère, rentre chez toi. » On rigolait. Je lui disais que j’avais besoin d’un défi. Et lui me répondait : « Mais quel défi? T’as un public qui t’aime, tu remplis des zéniths! Gad, sois gentil avec toi ». Mais ça n’a rien à voir avec ça (rire). C’est juste que j’ai besoin de cette motivation, de ce challenge.
Ça demande aussi beaucoup d’humilité de repartir de zéro, de faire des petites salles, parfois vides…
C’est paradoxal en fait, parce que c’est un mélange d’humilité et de sacrée ambition, presque mégalo. Parce que c’est assez ambitieux et fou à la fois d’aller tout seul sur scène et de se dire : « Je vais les faire marrer ». Mais oui… Il faut vraiment pouvoir se remettre complètement en question. Et si tu n’as pas la capacité de le faire, alors ce n’est même pas la peine de faire ce métier.
“C’est parfois même un peu libérateur de parler dans une autre langue.”
Est-ce que c’est encore plus valable pour un humoriste que pour d’autres métiers de la scène?
Complètement. Et puis on manipule le rire. C’est quelque chose qui est direct, physique. Je ne sais pas à quel point un chanteur modifie et s’adapte à son public. Mais je sais qu’un humoriste, un vrai, celui qui fait le travail comme dirait Jerry Seinfeld doit pouvoir se remettre en question tous les jours.
Où vous situez-vous aujourd’hui dans votre projet, vos ambitions américaines?
Je pense qu’il y a une première étape, un premier chapitre qui a été fait. Et le deuxième chapitre ça va être d’avoir j’espère une série, où je vais pouvoir me raconter, parler de cette vie, de tout ça. Mais plus à la télé, pour toucher plus de monde. Je ne fais plus trop de cinéma, ça me convient moins on va dire. Mais le TV series, le TV show, est vraiment quelque chose qui m’attire. À la croisée des chemins entre le stand up et le cinéma.
Quel est le principal défi ici pour avoir du succès? Il faut encore plus « exister » qu’en France?
Je pense qu’il faut être présent partout. Si on a l’opportunité d’être présent dans des talk shows importants il faut le faire. J’ai eu la chance d’aller chez Conan O’Brian, Stephen Colbert, Seth Meyers, et j’espère aller chez Jimmy Fallon. Tous ces talk shows t’aident énormément.
Est-ce que l’humour anglophone est un espace plus libre pour vous? Ou c’est simplement un autre terrain de jeu?
C’est un espace où je joue un peu plus avec la langue. C’est parfois même un peu libérateur de parler dans une autre langue. Mais j’ai encore énormément de chemin avant de pouvoir réaliser ce que j’ai réalisé en français. C’est un long chemin. Je ne sais pas si j’y arriverai. Mais en tout cas j’ai commencé.
Vous êtes régulièrement en contact avec Jerry Seinfeld, votre idole et désormais mentor…
Oui on est très proches alors on échange beaucoup, on passe du temps ensemble. On joue dans les Comedy clubs, on vit. On a créé un show qu’on a joué il y a trois semaines en France. On est vraiment des bros.
Comme quoi, rien n’est impossible…
Complètement. Et j’y crois. D’ailleurs c’est un message que j’envoie à tous les jeunes qui veulent faire ce métier ou un autre. Si vous avez un projet et qu’on vous dit « t’es fou », ça veut dire que c’est un bon projet. Alors il faut il aller. Go forward!