Par Jean-Pierre DUBÉ (Francopresse)

Passée l’agréable surprise de trouver la création de l’université rêvée dans une annexe du projet de loi omnibus 117, des voix s’inquiètent du calendrier législatif d’ici les élections de juin 2018. La stratégie des libéraux de l’Ontario rappelle celle des néo-démocrates du Manitoba, qui ont raté en fin de mandat en 2015 l’adoption d’une loi sur l’essor de la francophonie.

Le projet ne fait pas l’unanimité. « Avec un gouvernement majoritaire, explique le politicologue Martin Normand, le gouvernement a le contrôle sur son agenda. Je suppose qu’il aurait le temps, mais ça pourrait être serré. La communauté ne peut baisser la garde aussi longtemps que ce projet n’est pas adopté.

« Il faut garder en tête la possibilité que ce projet omnibus devienne une plateforme électorale si le gouvernement le laisse trainer ou s’il déclenche des élections anticipées. » L’annexe 43 du projet omnibus, déposé le 14 novembre à Queen’s Park, précise que l’Université de l’Ontario français offrira « une gamme de grades universitaires et de programmes d’études ».

Une enveloppe de 20 millions $ sera consacrée à l’étape de mise sur pied de l’établissement à Toronto, sur un budget anticipé de 83,5 millions sur la prochaine décennie. Le post-doctorant de l’Université d’Ottawa remarque que les projets de loi sur l’université francophone, la gouvernance du Centre Jules-Léger (pour les enfants ne pouvant être intégrés à l’école) et le bilinguisme de la Ville d’Ottawa sont largement passés inaperçus.

Une façon de piéger l’opposition

« Je n’ai presque rien vu dans les médias anglophones, signale Martin Normand. L’impression au gouvernement, c’est peut-être que le dépôt de projets de loi individuels pour chacun des engagements aurait pu froisser la majorité anglophone et déclencher des réactions plus virulentes. »

Selon lui, la stratégie libérale serait une façon de piéger l’opposition. Il semble acquis que les néo-démocrates et les conservateurs trouveront dans le projet omnibus des raisons de s’opposer. « Les libéraux pourraient donc aller en campagne, conclut-il, en disant que l’opposition a voté contre les trois projets de loi. La prochaine élection pourrait s’annoncer serrée et dans ce contexte, le vote francophone pourrait jouer dans plusieurs circonscriptions. »

L’historien Joël Belliveau de l’Université Laurentienne (Sudbury) estime que la Province fait le minimum nécessaire pour faire avancer le dossier. « Assez pour éviter les foudres des associations francophones, mais trop peu pour choquer les opposants potentiels. Ceci dit, petit train peut parfois aller loin. »

Il note que le projet jette les bases essentielles : « une entité légale, une institution francophone qui cherchera à croitre et qui sera dédiée complètement au postsecondaire de langue française. Généralement parlant, la création de cette nouvelle institution est vue comme une bonne chose. Pour moi, il n’y a que du bon qui peut en sortir. »

Ce n’est pas la panique

Selon Joël Belliveau, la nouvelle université pourrait collaborer avec les établissements bilingues pour élargir l’offre éducative ou concurrencer avec eux et les pousser ainsi à bonifier leurs programmes. Il reconnait que la nouvelle institution pourrait voler quelques étudiants de Sudbury et d’Ottawa.

« Ce n’est pas la panique. On réussira peut-être à attirer moins d’étudiants du Sud de l’Ontario, mais on n’imagine pas les jeunes du Nord se diriger en masse vers Toronto pour faire un bac. »

Le rêve d’un réseau universitaire de langue française pour tout l’Ontario vit encore, soutient le professeur. « La province a-t-elle renoncé à l’imposition d’un tel réseau ou espère-t-elle qu’il émerge organiquement? Plusieurs francophones qui s’intéressent à la question – incluant des universitaires – regrettent même que la Province n’ait donné qu’un mandat régional à la nouvelle université. »

Le projet de loi précise, à l’article 8, que l’institution « peut s’affilier à d’autres universités, collèges, établissements de recherche et établissements d’enseignement ou se fédérer ou conclure des contrats avec eux ». On ignore quel serait le pouvoir d’attraction de cet établissement à l’extérieur de l’Ontario.

Rappelons que le projet de l’administration néo-démocrate au Manitoba a été repris par le nouveau gouvernement conservateur en 2016 et adopté par la Législature.