Par Bernard BOCQUEL

Le triste sort apparemment réservé par le gouvernement au Bureau de l’éducation française, une des pièces maîtresses de la francophonie manitobaine du fait de ses efforts pédagogiques envers la jeunesse, exige de revenir sur l’esprit du Manitoba.

À l’origine de la Province du Milieu, il y a la volonté farouche des Métis canadiens-français de ne pas être submergés par leurs ennemis, les Canadians de l’Ontario. Voilà pourquoi une loi manitobaine n’est valide qu’à la condition d’être votée simultanément en anglais et en français.

La volonté des Métis a permis à certains de leurs « cousins » canadiens-français d’entretenir le rêve d’implanter dans l’Ouest des paroisses canadiennesfrançaises, où il fait bon vivre du sol en français, comme leurs ancêtres depuis les temps anciens de la Nouvelle-France.

Les Canadians protestants et anti-catholiques ne l’entendaient pas de cette oreille. Au nom de l’unité du Canada, ils ne voulaient pas d’autres mini-Québec. Leur mot d’ordre : One Nation, one Language. Malgré leur détermination, ils n’ont pas réussi. D’abord parce qu’au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la masse des Canadiens-français du Manitoba, menée par leur clergé militant, a décidé de résister. Toutefois, le refus de se plier à la volonté de l’oppresseur n’a pas empêché les résistants d’apprendre l’anglais. Ou plus exactement, selon la formule bien connue, d’attraper l’anglais.

Cependant, la modernité galopante qui a succédé à la Seconde Guerre mondiale et atteint de plein fouet le monde religieux, a sérieusement ébranlé le projet d’avenir canadien-français au Manitoba. D’autant plus qu’au Québec, les forces de séparation enterrèrent l’idée de la grande famille canadienne-française à la fin des années 1960. Les cousins des autres provinces étaient menacés d’étouffement.

Pour les Canayens du Manitoba, la preuve était faite que le socle des luttes axé sur la préservation de la mentalité canadienne-française n’était pas la plus solide des fondations. Mais il leur restait à comprendre que leurs aspirations s’étaient greffées sur une province née métisse, voulue pour assurer le respect de tous.

Il serait bien sûr naïf d’imaginer que tous les Manitobains exerçant un pouvoir politique sont bien conscients des origines si uniques de notre province. Il serait toutefois regrettable que ces personnes d’influence ne se laissent pas pénétrer par la puissance de l’esprit du Manitoba.

L’avenir de la francophonie d’ici, autrement dit de la présence d’une force fonctionnellement bilingue dans la société manitobaine, doit reposer sur l’esprit même qui a engendré notre province. Cet esprit fondé sur la solidarité humaine, qui dépasse toutes les considérations de langue, de religion, qui dépasse tout réflexe de séparation, qui rejette les murs, le « nous contre eux ».

Cet esprit du Manitoba, du respect des différences, qui se moque bien de toutes les catégories et autres barrières mentales, est déjà en germe dans bien des têtes, particulièrement chez les jeunes. Il fait d’ailleurs l’objet d’études, comme l’indiquait dernièrement dans La Liberté la professeure de psychologie à l’Université de Saint-Boniface, la docteure Annabel Levesque. (1)

La chroniqueuse citait les travaux de John Berry de l’Université Queen’s, qui constate que « le sentiment d’appartenir au groupe majoritaire et celui d’appartenir au groupe minoritaire peuvent coexister dans un esprit d’intégration ». C’est pourquoi « il est bien possible que les jeunes francophones qui endossent une identité bilingue, plutôt que d’être sous l’emprise de forces assimilatrices, soient en fait motivés par le désir de voir se concrétiser un projet collectif visant à faire tomber les frontières ».

Que voilà donc une excellente nouvelle : l’esprit du Manitoba traverse les siècles, comme les frontières nationales et politiques.

(1) Voir la chronique d’Annabel Levesque, parue dans la rubrique 3 voix à la Trois (La Liberté du 11 au 17 octobre).