La production à micro-budget est devenue la porte d’entrée des cinéastes émergents au Canada. Avec des budgets de moins 150 000 $, les risques pour les producteurs sont réduits. La directrice générale de Téléfilm Canada estime que cette politique encourage autant la diversité régionale que linguistique.

Par Gavin BOUTROY

Depuis la mise en place voilà cinq ans du programme Talents en vue, 70 films ont été financés et produits. Le bilan : 200 sélections dans des festivals nationaux et internationaux, et 70 prix. Et ce, avec 120 000 $ par film (1), alors que le budget moyen d’un film au Canada est de 2,5 millions $.

Talents en vue a été établi suite à des discussions entre Téléfilm Canada et le National Screen Institute (NSI), un organisme à but non-lucratif situé à Winnipeg qui offre des formations aux travailleurs de l’industrie de la production médiatique.

Carolle Brabant est la directrice générale de Téléfilm Canada. « Ce qui se passait il y a cinq ans, c’est qu’un jeune qui voulait faire son premier film allait vers une maison de production, qui décidait alors souvent de faire un projet à plus gros budget, disons d’un million $.

« Évidemment les attentes à ce moment-là sont plus élevées. Dans les mots du directeur de NSI, c’est comme si nos jeunes passaient du bac au doctorat sans transition. Il n’y a pas de droit à l’erreur.

« Même si c’est écrit nulle part, pour Téléfilm, comme pour tous les organismes, on a tendance à aller avec un parfait inconnu plutôt que d’aller avec un second film de quelqu’un qui n’a pas réussi la première fois. C’est mettre beaucoup de pression sur les créateurs dans une industrie très compétitive… Mais avec 120 000 $, il n’y a aucune attente. »

En 2017, avec un budget d’environ 4 millions $, Talents en vue pouvait subventionner un maximum de 20 films à micro-budget. En 2018, Téléfilm, dont le budget total est d’environ 120 millions $, financera jusqu’à 50 productions à micro-budget. Aussi, le budget de Talents en vue passera à 6 millions $.

Le programme est largement financé par le Fonds des talents du Canada. Téléfilm mène actuellement une campagne de financement auprès d’organismes et de donateurs pour prélever les 2 millions $ supplémentaires.

“Talents en vue est probablement le programme qui répond le mieux à tous nos critères de diversité, de présence régionale, de parité hommes-femmes.”

Carolle Brabant, directrice générale de Téléfilm Canada

Il n’y a aucun quota régional ou autre. Depuis la création du programme il y cinq ans, il y a eu six productions manitobaines, dont une seule en français : MIA, réalisé par Jeremy Guenette et Gabriel Levesque. Pour tout le Canada, il y a eu trois productions francophones hors Québec.

La directrice générale de Téléfilm souligne qu’elle préfère un système sans quotas. « Personnellement, plutôt que d’établir des quotas, j’aime mieux faire de la promotion pour sensibiliser les partenaires actuels, en leur soulignant que leurs projets ont vraiment une possibilité d’être choisis.

« De plus, Talents en vue est probablement le programme qui répond le mieux à tous nos critères de diversité, de présence régionale, de parité hommes-femmes. »

Carolle Brabant précise que ces critères ne font pas partie du processus de sélection de projets qui seront financés. Les projets sont sélectionnés par un jury. Cela dit, la pluralité régionale et linguistique des partenaires qui soumettent des projets serait à l’origine de cette diversité. Les partenaires sont 40 organismes de l’industrie des quatre coins du pays, dont On Screen Manitoba.

« C’est un programme plus décentralisé. Une des choses que nous voulons revoir, c’est que certains partenaires ne soumettent pas un projet à chaque année. »

Les partenaires auront maintenant la possibilité de soumettre deux projets par année. Dans une industrie dominée par Toronto et Montréal, il reste à voir si l’augmentation mènera non seulement à plus de projets dans ces deux villes, mais aussi ailleurs au Canada.

Deux autres changements notables au programme Talents en vue sont à signaler. Pour des raisons administratives, les producteurs ne pourront plus accéder au crédit d’impôt pour l’industrie du cinéma. Et il y aura un volet de financement automatique pour les cinéastes ayant été primés aux plus importants festivals nationaux et internationaux, afin qu’ils puissent réaliser leur second film.

(1) Les projets financés par Téléfilm Canada peuvent prélever un maximum de 30 000 $ supplémentaires d’autres bailleurs de fonds.


L’importance de Talents en vue au Canada : “Ça ouvre les portes”

La directrice d’On Screen Manitoba, Nicole Matiation, souligne avant tout l’importance du programme dans la province : « C’est une porte d’entrée pour les réalisateurs, les producteurs, et scénaristes émergents. Ça prend beaucoup d’années pour avoir le financement pour un long-métrage, même pour un budget d’un million $, ce qui est relativement modeste, pour un film. Donc c’est une façon d’accélérer le développement de nouveaux talents. »

Elle cite pour exemple deux projets provinciaux qui ont vu le jour grâce à ce financement, dont le long-métrage en français MIA. « On n’a pas souvent l’occasion de réaliser des long-métrages en français. Pourtant il y a des créateurs qui voudraient le faire. Donc ce fonds, et l’augmentation de ce fonds, va augmenter les occasions pour les nouveaux talents francophones de se tourner vers les fictions de long-métrage, ou bien les séries Web, qui est aussi inclus dans ce programme. »

La directrice de l’Association des professionnels de l’industrie audiovisuelle au Manitoba espère que l’augmentation du fonds permettra à davantage de projets de voir le jour. « C’est une stratégie de développement : les gens ne restent pas bloqués dans un système ou un autre. C’est ce qui est bien avec ce programme. En tant que partenaire, nous allons déjà pouvoir recommander plus de projets. »