Par Bernard BOCQUEL

De son vivant déjà, Mgr Provencher était une sorte d’icône. Dans la biographie de l’homme venu en 1818 à la naissante Colonie de la Rivière-Rouge, Donatien Frémont y va de quelques raisons :

« Longtemps après sa mort, la reconnaissance populaire redira certaines faveurs extraordinaires dues aux prières du vénérable prélat. […] Les chenilles exerçaient des ravages sérieux et menaçaient de tout détruire. Les religieuses se désolaient devant lui, dans une muette prière pour implorer son intercession. Peu après, le saint évêque se mit à réciter son bréviaire. Et l’on vit un spectacle étrange : les affreuses petites bêtes s’acheminer en longues cohortes vers la rivière qui les engloutit. De la saison, on n’entendit plus parler du fléau de chenilles. » (1)

Lorsqu’en 2012 Postes Canada a émis un timbre commémoratif pour souligner le bicentenaire de la Colonie de la Rivière-Rouge fondée par Lord Selkirk, il devenait possible de rêver à ce que le programme de timbres pour 2018 rende hommage à Joseph-Norbert Provencher. Après tout, Selkirk en personne avait fait le nécessaire pour obtenir une présence religieuse catholique afin de veiller à l’adoucissement des moeurs locales, et donc d’augmenter les chances de succès de sa folle entreprise agricole.

Mgr Noël Delaquis, l’évêque émérite de l’ancien diocèse de Gravelbourg, avait entrepris en avril 2016 les démarches dans l’espoir qu’un timbre à l’effigie du missionnaire fondateur de l’Église catholique dans l’Ouest canadien voie le jour en 2018. En juin 2017, sa suggestion est officiellement transmise au Comité consultatif sur les timbres-poste. En avril 2017, il reçoit un avis défavorable, ainsi motivé :

« La mise sur pied d’un programme annuel et équilibré à partir des centaines de suggestions que nous recevons à tous les ans est une tâche ardue. Le Comité ne peut retenir qu’un infime pourcentage des suggestions présentées. » Parler « d’infime pourcentage » ne relève sans doute point de l’exagération quand on sait que Postes Canada n’émet chaque année qu’une cinquantaine de timbres, qui portent sur une vingtaine de sujets ou de thèmes destinés à « explorer les richesses naturelles, culturelles et historiques de notre pays ».

Il est bien normal que les personnes chargées d’établir le choix final n’aient pas à justifier leurs décisions. Il aurait été pourtant intéressant de savoir si le Comité consultatif a estimé que l’arrivée de Provencher à la Rivière-Rouge ne constituait pas un moment « d’importance nationale », l’un des critères clés.

On peut supposer que ce soit le cas. Dans la conscience canadienne, le vaste pays qui s’étend d’un océan à l’autre est tellement chose acquise, que pour un peu on tiendrait sa géographie comme un état de fait naturel. Il n’en est évidemment rien. Pour que le Canada s’étende a mari usque ad mare, il a fallu que la toute jeune Confédération canadienne puisse acheter l’Ouest à petit prix à la Compagnie de la Baie d’Hudson. Et s’il est bien sûr vain d’attribuer un crédit politique à quelqu’un en particulier pour cet énorme coup-là, une évidence s’impose : l’Ouest est tombé dans l’escarcelle canadienne grâce à la bonne foi des Métis canadiensfrançais. Et s’il y a un missionnaire de l’Église de Rome qui avait à leurs yeux un statut quasi mythique, c’est bien Mgr Provencher.

Ce bref éclairage historique montre bien qu’il serait dommage de renoncer au rêve de voir Postes Canada émettre un jour un timbre en hommage à un homme doué de qualités humaines aussi exceptionnelles que Joseph-Norbert Provencher. Si ce n’est pas dans la catégorie des personnages héroïques choisis pour l’édification des philatélistes comme des simples acheteurs, du moins alors dans une série consacrée à de grands serviteurs.

(1) Monseigneur Provencher et son temps, par Donatien Frémont, publié en 1935 aux Éditions de La Liberté, 619, avenue Mc Dermot à Winnipeg.