Par Bernard BOCQUEL

La bonne volonté de bénévoles ne suffit pas toujours pour assurer à un évènement un rayonnement, une longévité. Mais dans le cas du Festival du Voyageur, elle est assurément l’ingrédient essentiel depuis maintenant presque un demi-siècle.

Et si cette bonne volonté a réussi à se maintenir, c’est à cause d’un mot : le patrimoine. Car c’est le besoin de garder en vie un patrimoine, c’est-à-dire de transmettre une part de soi, qui a assuré l’engagement déterminant de légions de volontaires.

Il était là le coup de génie de Georges Forest, celui qui est devenu par la force de son idée le premier Voyageur officiel : ancrer une fête d’hiver dans l’histoire, et ainsi d’emblée dépasser la seule logique commerciale. Il fallait pour cela un fier Bonifacien, conscient de ses racines métisses et canadiennes-françaises. Son attitude de défi culturel n’avait en soi rien d’impensable : après tout, la ville de Saint-Boniface s’est construite en résistance à la métropole voisine.

Et qui dit résistance, dit forcément devoir de transmission. Transmission de valeurs, appuyées sur toutes sortes d’histoires, ces matrices de culture. Dès les débuts de ce qui aurait après tout pu rester un évènement unique, localisé dans le temps, durant l’année du centenaire de la Province du Milieu, une mission a été attachée au Festival du Voyageur. Une mission qui exigeait le succès : « Valoriser et promouvoir le patrimoine auprès de l’ensemble de la communauté en reflétant l’époque des voyageurs et la joie de vivre par le biais d’une fête d’hiver. »

Pour les habitants d’une Ville-Cathédrale à la veille d’être absorbée dans le Grand Winnipeg, la possibilité de faire revivre la grande époque des ancêtres voyageurs constituait une occasion rêvée de faire valoir la puissance d’un héritage humain. Le Festival du Voyageur fournissait la preuve de la légitimité de la présence canadienne-française, si minoritaire qu’elle fût.

Avec l’arrivée de Unicity en 1972, Saint-Boniface était ravalé au rang de simple quartier. Mais grâce au Festival, pendant une quinzaine d’années au moins il y a eu durant une semaine en février une floraison de tuques rouges, sorte de cri de ralliement canayen. Le Festival comme moyen d’affirmation ostentatoire s’est ensuite raffiné : costumes inspirés par l’époque de la traite des fourrures et ceintures fléchées se sont multipliés. Musicalement, le concours de violoneux et de gigueurs instauré en 1972 par le Métis Bert Vermette a permis l’éclosion de nouvelles générations d’artistes. De bien d’autres façons encore, le Festival a servi de tremplin au patrimoine métis et canadien-français, qui s’est mis à vibrer comme jamais.

Jusqu’au point où malgré des périodes financières plus difficiles, il devint impensable de ne pas organiser un Festival du Voyageur. Quand le Festival est-il lui-même devenu un patrimoine socio-culturel à préserver? Les avis risquent d’être partagés sur la question.

Pour alimenter la discussion sur la nécessaire pérennité du Festival du Voyageur, le livre qui sera publié en 2019 fournira sans aucun doute bien des arguments. (1) L’initiative a été prise par une enseignante à la retraite, Lucienne Loiselle, qui connaissait déjà bien l’évènement annuel avant d’entamer ses recherches historiques. En effet, avec son compagnon de vie Lucien Loiselle, elle est membre de l’Ordre des Voyageurs officiels.

Dans son esprit, Lucienne Loiselle a entrepris un travail de nature existentielle. Sa conviction irrévocable : « Il ne faut absolument pas oublier qui nous sommes. Sinon, nous n’aurons rien à donner aux autres. » Cette vérité, cet impératif, est à la fois le coeur du succès du Festival du Voyageur et son secret pour générer de la bonne volonté.

(1) Le livre, publié par les Éditions des Plaines, sera abondamment illustré et paraitra à temps pour la 50e édition du Festival.