Au Festival du Voyageur, on ne peut pas les louper. Chaque hiver, elles accueillent les visiteurs et font la magie du parc Whittier. Que cache l’art de la sculpture sur neige? On a posé la question à David MacNair et Réal Bérard, deux grands enfants qui n’ont jamais arrêté de jouer dans la neige.

par Valentin CUEFF

Deux visages d’hommes coiffés de tuques regardent vers l’horizon, un oiseau perché sur leurs têtes. Ils s’imposent à l’entrée du parc comme les gardiens d’un lieu sacré, entre lesquels les festivaliers doivent passer pour pénétrer sur le site.

Face Book, c’est le nom de cette œuvre confectionnée en trois jours par une équipe de six artisans : David MacNair, Réal Bérard, Gérald Paquin, Barry Bonham, Dave Maddocks et Jim Alexander.

Pour David MacNair, ces têtes de neige sont l’occasion aux voyageurs de raconter leurs aventures, à travers les égoportraits.
« On dirait que les gens sont toujours en train de poster des choses sur leur Facebook. Ces visages à l’entrée, c’est comme des serre-livres. Les gens vont rentrer au festival et vont transmettre leurs histoires sur leur page Facebook. »

« La meilleure école c’est le champ de bataille »

L’équipe est loin d’en être à son coup d’essai.

David MacNair se souvient : « Ça fait environ 30 ans que Réal m’a invité à venir jouer avec lui dans la neige. J’ai été mordu tout de suite. On joue ensemble depuis ce temps là. »

De son côté, Réal Bérard dit jouer « depuis tout petit », avec la neige. « On devait attendre le redoux. C’était la seule manière de faire. On n’avait pas tous ces nouveaux trucs, ces inventions qui sont arrivées chemin faisant. »
« Je faisais pas des blocs. C’était de la barbotine, un mélange d’eau et de neige… On était tout mouillé à la journée longue. »

Devenir sculpteur, ça commence par des boules de neige? Réal Bérard confirme : « La meilleure école, c’est le champ de bataille. »

Pelle, truelle et… excalibre

À force de travailler la neige, les sculpteurs connaissent leur matière première et le moment idéal pour commencer à gratter leur œuvre.

« D’une semaine à l’autre la neige change, se transforme », explique David MacNair. « Quand il fait -20 degrés, comme aujourd’hui, c’est idéal pour faire de la finition. »

Une matière qui se façonne de multiples façons, comme l’explique son compère pelleteur. « Les Inuits ont 30 ou 40 manières de travailler la neige, avec tous ses tempéraments, ses qualités, puis ses défauts parfois. »

Cette année, toutefois, le Festival a dû ajouter son grain de sel, faute d’une météo un peu trop clémente.

David MacNair : « Puisqu’on n’a pas eu de neige ici au Manitoba (sic), le Festival a mis de la neige artificielle. Cette neige, elle ne se compacte pas de la même façon que de la neige classique. » Pour lui, rien ne vaut la qualité des flocons qui tombent dans la région. « Quand on a de la neige ici, c’est la plus belle neige. »

Les six sculpteurs déploient alors leur attirail autour des blocs de neige. Rien à brancher : leurs outils sont pour la plupart, des inventions faites maison, comme cet « excalibre » qui permet à la troupe de se débarrasser du plus gros de la neige.

Une bêche de jardin « très aiguisée », une « lame de glace » ou encore un lot de truelles permettent à la troupe de gratter et dessiner dans la pierre blanche.

« Puis, on fait appel aux bougeurs de neige », raconte David MacNair entre deux coups d’excalibre.

Ces bougeurs, munis de pelle, déplacent la neige à quelques mètres de l’œuvre, pour garder leur environnement de travail impeccable. « Parce que quand on vient au travail de finition, si un de nos outils tombe, on peut le perdre dans la neige. »

« Une fois que le plus gros de la neige est enlevé, on peut vraiment commencer à faire des formes, en utilisant l’excalibre. Et plus on peut former, moins on aura à utiliser la râpe. »
La râpe, là aussi un outil détourné de son usage d’origine, permet d’arrondir les angles et apporter plus d’harmonie dans les formes.

Une fois montés sur l’échafaud, les sculpteurs doivent aussi prendre garde à ne pas se laisser surprendre par le froid, ni par le soleil.
« Par deux fois, mes yeux ont brûlé avec la réflexion du soleil sur la neige », se souvient David MacNair, pointant du doigt ces grosses lunettes de protection.

Gérald Paquin, Réal Bérard, David MacNair

Le redoux, cet « ennemi du sculpteur de neige »

En 2017, les sculptures sur neige n’avaient pas tenu face à des températures qui avoisinaient les zéro degrés.

« On a travaillé en maillot de bain l’an passé », plaisante David MacNair. Il raconte pourtant que c’était une œuvre qu’il rêvait de faire depuis 25 ans.

Réal Bérard évoque une « triste histoire » : « À l’entrée, il y avait une immense sculpture dont le point culminant était le cou d’une bernache. Et puis on a eu la visite du redoux. Un ennemi du sculpteur de neige. »
« Cette bernache avait une belle tête. On venait de la finir. Et puis la tête est tombée… le cou est tombé… tout est tombé. »

Les deux artistes se font une raison : quoiqu’il en soit, leur travail n’est pas fait pour durer éternellement.

« C’est la beauté de l’art éphémère », s’extasie Réal Bérard. Et son équipe ne vient pas seulement au Festival pour créer, mais aussi pour rencontrer d’autres tailleurs de neige venus du monde entier.

« Le monde est fasciné par la compétition. Ici, ce n’est pas le cas. Une année, il y avait une équipe de Cuba et une autre des Etats-Unis. Ceux des Etats-Unis avaient fini de bonne heure, alors que les Cubains étaient seulement à deux pour faire leur sculpture. Une belle chose est arrivée : les Américains ont demandé à David s’ils pouvaient aller sculpter avec les Cubains. Et ils ont fait un beau morceau ensemble. »