Par Bernard BOCQUEL

Dans la communauté franco-manitobaine, plus précisément au sein de la francophonie manitobaine organisée, la joie était palpable au lendemain de l’élection des libéraux de Justin Trudeau en octobre 2015. Une joie de soulagement aisément compréhensible.

Car la décennie sous Stephen Harper a été plutôt mal vécue par les employés des organismes communautaires dédiés à la francophonie. Le réseau d’organisations chapeauté par la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) a tôt fait savoir au nouveau gouvernement que les conservateurs n’avaient pas indexé leurs « investissements ».

Petit rappel : dans le cadre de la Feuille de route 2013- 2018, Ottawa avait injecté plus d’un milliard de $. Soit 57 millions $ par an pour les organismes en situation minoritaire et 134 millions $ pour les gouvernements provinciaux. Pour redonner un élan à la dualité linguistique au niveau communautaire, la FCFA réclamait dans le nouveau budget fédéral 575 millions $ supplémentaires sur cinq ans, par souci de rattrapage. Le président de la FCFA, Jean Johnson, avait exigé des moyens pour entreprendre un plan d’action « transformatif ».

Le message avait été transmis à l’envi aux élus fédéraux chargés de consulter en vue du Plan d’action quinquennal 2018-2023. Justin Trudeau n’hésite pas à présenter ses libéraux comme le « parti du bilinguisme ». Tout le monde impliqué dans ce vieux jeu politique a donc supposé que les libéraux devaient verser au moins autant que les conservateurs aux organismes chargés de donner une existence institutionnelle aux communautés francophones.

Aussi, tout le monde impliqué continue de faire comme s’il existait un lien direct entre la santé financière d’un réseau d’organisations et les volontés individuelles de parler le français. L’histoire a cependant amplement démontré que les organismes peuvent offrir des services, des occasions de parler le français, mais qu’ils ne sauraient prétendre être à la source d’une volonté de s’exprimer en français.

Il est vrai que trop souvent encore des francophones vivent sur une défensive linguistique. Pour ces personnes, la notion de communauté a une fonction rassurante. On est toutefois en droit de douter que ces mêmes personnes sont motivées à parler français pour sauver leur communauté.

Pourtant, les organismes confondent volontiers leur raison d’être avec « la communauté ». Leurs employés se présentent comme étant au service de leur communauté, conçue comme l’intérêt supérieur des francophones.

Amplement popularisé dans les années 1970, le concept de communauté a été officialisé au Manitoba au début des années 1990 avec la mise en place d’une première « Entente Canada-Communauté ». La Liberté du 16 février 1990 apprenait aux lectrices et lecteurs : « L’entente est fondée sur le respect du développement normal d’une communauté : le réveil, la création d’un mouvement social et l’institutionnalisation. Le gouvernement fédéral pour sa part joue essentiellement le rôle de promoteur. »

C’est à la même époque – en 1991 – que la Fédération des francophones hors Québec (FFHQ) est devenue la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA). Des communautés alors forcément à des stades de « développement » différents. Après un quart de siècle, l’argent aidant, toutes ont dû finir par se réveiller et atteindre un certain degré « d’institutionnalisation ». Mais une institutionnalisation d’évidence précaire, puisque conditionnelle au montant de subventions du « promoteur » fédéral.

Depuis la Loi sur les langues officielles de 1969, il est dans l’intérêt politique d’Ottawa de verser assez d’argent pour au moins maintenir les organisations qui assurent une existence franco-institutionnelle. Reste à voir combien ces structures soutenues à l’échelle du pays vont pouvoir fournir d’emplois avec le nouveau budget fédéral. Chose certaine, leur nombre ne dira rien de la volonté des francophones de continuer à parler français.