Lorsque Annette Nicolas entre dans l’appartement de Jeanne Garand, son hôtesse lui lance : « Viens t’asseoir, maman! » Visiblement, elles ont une amitié encore taquine, du haut de leurs 100, et 99 ans. Mme Nicolas, « l’aînée », comme lui rappelle volontiers MmeGarand, explique : « On est presque des jumelles! À un an et un mois de différence! »
Par Catherine DULUDE
Si on a rassemblé Jeanne Garand et Annette Nicolas dans une même chambre au Manoir St-Pierre à Saint-Pierre-Jolys, c’était pour parler d’une fête commune en l’honneur de leur anniversaire de naissance, qui a eu lieu un 8 mars, à la Journée interna – tionale des femmes. Une occasion de revenir sur un siècle de vie au Manitoba rural.
Assise bien droite sur le canapé, les mains jointes aux genoux, collier de perles au cou, Jeanne se présente. Elle est l’épouse de Jean-Marie Garand, un parent du policier Victor Garand, et mère de cinq enfants. Jeanne a passé toute sa vie à Saint-Pierre-Jolys. Enfant, elle a fréquenté le couvent de Saint- Pierre. Mais la vie à la terre a interrompu ses études.
Elle s’est rendue jusqu’à la 6e année. Son plus grand regret scolaire? Ne pas avoir appris l’anglais. Pourtant, née deux ans après la loi Thornton de 1916, la petite Jeanne avait des livres en anglais sur son pupitre de classe. « À l’école on lisait en anglais, on avait notre reading, mais on savait pas ce qu’on disait, on ne comprenait pas. »
Sa comparse au sourire facile et à la bonne humeur contagieuse, Annette Nicolas, est pour sa part originaire de Gravelbourg, en Saskatchewan. Son parcours scolaire s’est arrêté après la 10e année. « En grade 11, la maîtresse ne voulait plus corriger mes papiers, parce qu’elle disait que j’en savais autant qu’elle! Fallait envoyer mes papiers à Regina, alors j’ai arrêté. »
Elle est ensuite venue au Manitoba, à l’âge de 21 ans, pour trouver un meilleur emploi. Elle a aussi trouvé son mari : Ernest Nicolas, un natif d’Otterburne. C’est d’ailleurs là où la famille s’est établie. Annette est mère de dix enfants, dont Suzanne Nicolas.
En revenant sur un siècle de vie, ces vénérables dames trouvent difficile d’identifier quel changement, quelle technologie, quelle époque a été la plus marquante. Jeanne Garand avance son explication : « Y’en a tellement eu des changements. » Malgré tout, le plus important qu’elle a vécu dans sa vie, celui qui a tout chamboulé à ses yeux, c’est l’arrivée de l’électricité. « Avant, on avait des lampes à l’huile. Quand ils ont mis la lumière, mon Dieu! On se regardait, il faisait trop clair! »
En discutant avec elles, on apprend que les familles du village de Saint-Pierre vivaient, et semble-t-il, connaissent encore jusqu’à un certain point une forme de hiérarchie sociale. Voilà apparemment pourquoi Jeanne n’a aperçu la Reine Elizabeth que de très loin, lors de sa visite en 1970. « Parce que nous, on était très bas. Et elle, très haute, devant l’église, au loin. Mais ce n’est pas grave, car ceux qui s’élèvent seront abaissés, et ceux qui s’abaissent seront élevés. C’est pour ça qu’on s’est rendu jusqu’ici! » Deux de ses filles présentes, Corinne Sabourin et Renée Dumontier, sont visiblement touchées par les sages paroles de leur mère.
Si de nombreux souvenirs sont heureux, certains restent encore trop douloureux. Ainsi Jeanne Garand ne veut pas qu’on évoque la démolition au début 1981 de l’ancienne église de Saint-Pierre-Jolys. « On n’en parle pas. C’était trop terrible. »
Les deux dames sont veuves. Jeanne depuis 1984 et Annette depuis 2004. Puisque l’espérance de vie penche en faveur des femmes, il n’est pas surprenant de voir plus de femmes centenaires que d’hommes. Annette Nicolas lance à la blague : « Pourquoi ça arrive ça? Les hommes s’en vont avant nous autres. Est-ce parce qu’on est trop dures avec eux? »
L’amitié et la joie de vivre des deux matriarches donnent envie. Certes, elles ont du mal à bien se comprendre quand elles se parlent. Mais qu’à cela ne tienne, puisqu’elles parviennent encore à se faire rire. Et à cent ans, quel plus beau cadeau que d’avoir une bonne copine avec qui échanger des plaisanteries?