Raymond Huel est le biographe d’Alexandre-Antonin Taché, le deuxième évêque de Saint-Boniface. L’historien est donc à même de donner un relief particulier aux contributions de Mgr Joseph-Norbert Provencher, le fondateur du diocèse de Saint-Boniface.
Par Daniel BAHUAUD
1818, l’abbé Provencher arrive à la Rivière-Rouge. Doit-on parler du début de l’Église dans l’Ouest canadien?
Raymond Huel : De la présence stable et continuelle de l’Église institutionnelle, certainement. Avec l’arrivée de Provencher, la présence à demeure du clergé dans l’Ouest est assurée. Provencher est aussi le premier prêtre canadien à se rendre dans l’Ouest. Ceux qui l’ont précédé étaient français.
Des précurseurs, donc…
R. H. : Il s’agissait surtout de missionnaires jésuites qui ont accompagné les explorateurs. Dans les années 1730, les pères Charles Mesaiger et Jean-Pierre Aulneau ont accompagné La Vérendrye jusqu’au lac des Bois, au fort Saint-Charles. Des jésuites comme Jean-Baptiste de la Morinie étaient présents au fort La Reine, près de Portage la Prairie. Ces prêtres, qui appuyaient les explorateurs, cherchaient à convertir les Autochtones. Comparés à Provencher, ils étaient des éclaireurs.
Évangéliser les Autochtones faisait partie des instructions laissées à Provencher…
R. H. : Effectivement, Mgr Plessis, l’archevêque de Québec, avait précisé au jeune abbé Provencher qu’il fallait prêcher l’Évangile aux Autochtones. Mais d’abord, Provencher devait desservir les Métis catholiques, qui avaient demandé des prêtres. Et il était là aussi à la demande de Lord Selkirk, qui voulait calmer les esprits après la bataille de la Grenouillère de 1816. Puisqu’il y avait des catholiques dans les deux camps, Selkirk comptait sur la stabilité que pouvait apporter les prêtres.
Vous décrivez Mgr Taché comme le véritable bâtisseur du diocèse de Saint-Boniface. Quel rôle attribuez-vous à Provencher?
R. H. : C’est l’homme qui a jeté les bases. Il a posé les grandes lignes de la fondation. Taché, lui, a construit l’édifice.
Mgr Provencher a eu le souci d’offrir aux jeunes une éducation religieuse. Il fallait donc qu’ils apprennent à lire et à écrire. On peut donc parler, dans un sens très large, des débuts de l’éducation en français. En 1818, il donne des cours à des garçons. Ce n’est pas lui qui a établi un collège classique.
Par contre, il a réussi à attirer les Soeurs grises, en 1844, qui ont fondé le premier hôpital dans l’Ouest. Provencher, c’est aussi celui qui a créé les premières paroisses catholiques, dont Saint-Boniface, pour desservir les Métis. Et il envoie, quand il le peut, des prêtres établir des missions, comme au lac La Pluie, à la baie Saint-Paul, etc.
Provencher a aussi ordonné du renfort…
R. H. : Le premier, Jean Harper, est ordonné prêtre en 1824. Provencher avait toujours besoin de plus de clergé. La mission qu’on lui avait confiée était d’une ampleur à faire trembler les plus convaincus. De la première douzaine de prêtres venus du Canada, quatre sont rentrés chez eux. C’était une vie difficile. Suffire à soi-même, construire sa propre maison, cultiver un jardin, entreprendre des voyages, ce n’était pas donné à tous. Certains prêtres ont connu la dépression.
D’autres, comme l’abbé Georges-Antoine Belcourt, était très compétents. Belcourt a été curé à Saint-François-Xavier, Pembina et même à Saint-Paul, aujourd’hui ville jumelle de Minneapolis, au Minnesota.
Il fallait donc une congrégation religieuse pour assurer une certaine stabilité à l’oeuvre de Provencher…
R. H. : Exactement! Il fallait un effort plus discipliné, plus organisé. Mgr Plessis s’en est vite aperçu, lui aussi. Il aurait voulu les jésuites, mais cette congrégation n’était plus permise en Amérique britannique. C’était l’époque où les jésuites étaient perçus comme une influence papiste néfaste. The Foreign Clergy, comme disaient les Britanniques. C’est pourquoi des espoirs ont été mis dans les Oblats, une jeune communauté française fondée par Eugène de Mazenod pour reconvertir la France républicaine.
Et les Oblats ont répondu à cet appel…
R. H. : En 1845, avec l’arrivée du père Pierre Aubert et du jeune Alexandre-Antonin Taché, séminariste Oblat. Ce sont les Oblats qui ont vraiment développé les missions. Ils sont allés rencontrer les Autochtones aux postes de traite, les ont accompagné lors des chasses, et ont fondé beaucoup de missions. Taché s’est rendu jusqu’au lac Athabasca.
Et à la mort de Provencher, en 1853, il lui a succédé…
R. H. : Il avait fait ses preuves. Et dans sa consolidation des bases jetées par Provencher, il a brillé.