Un océan sépare le Canada de l’Europe. Mais dans ce monde globalisé où les visées impériales des gros joueurs planétaires sont à la hausse, nos intérêts vitaux et ceux des vieux pays outre-Atlantique s’avèrent très semblables.

L’aventure canadienne en cours se résume simplement : le pays existe parce qu’à un moment donné dans l’Histoire, des loyalistes à la Couronne britannique ont entrepris l’impossible pour ne pas se faire dévorer par des Américains en mode de Manifest Destiny.

L’aventure européenne en cours se résume aussi simplement : des pays anciens, épuisés par deux guerres mondiales, s’efforcent de travailler ensemble pour ne plus retomber dans leur vieux travers, qui consistait à s’entredévorer pour tenter d’asseoir une domination.

L’expérience canadienne comme l’expérience européenne ont donc fondamentalement en commun une volonté : celle de lutter et de ne pas céder à la loi du dominant-dominé qui régit les affaires des peuples depuis les temps immémoriaux.

Pour les Canadiens, pareille attitude exige d’éviter de tomber dans le piège du complexe d’infériorité. Car nous savons bien que notre existence au soleil dépend en grande partie de la bonne volonté de nos superpuissants voisins. Quand le maître du Bureau ovale décide arbitrairement qu’il veut un meilleur traité de libre-échange nord-américain, les négociateurs canadiens savent d’entrée de jeu qu’ils n’ont pas le gros bout du bâton, qu’ils dépendent ultimement du seul bon vouloir d’un manipulateur de haut vol.

Pour les Européens en devenir, le piège absolu à éviter est celui du repli sur soi. Voilà un demi-siècle encore, les Français se sentaient encore capables de bomber le torse dans de pathétiques accès de complexe de supériorité. L’irrépressible mondialisation des marchés financiers et du commerce international a mis les pendules à l’heure. La classe politique française, à l’exception bien sûr des chefs populistes qui attisent les peurs d’une société vieillissante, a bien compris que le salut du mode de vie démocratique est lié au succès de l’Europe.

Un ancien ministre des Affaires étrangères allemand, le Vert Joschka Fischer, vient de publier un essai dont le titre condense son propos : Der Abstieg des Westens (Le déclin de l’Ouest). À ses yeux inquiets, la montée en puissance de la Chine sonne la fin de l’ordre mondial mené par les Américains. Un ordre qui a permis à l’Allemagne de bénéficier d’une paix et d’un solide niveau de vie depuis 70 ans.

Dans cette période d’instabilité planétaire « hautement dangereuse » qui s’annonce, l’ex-vice chancelier martèle une conviction centrale : « Ensemble seulement comme Européens avons-nous un avenir. » Un avenir d’ailleurs conditionnel à un renforcement de la relation France-Allemagne. Son cri du coeur raisonné est un appel au « courage de ceux qui veulent et de ceux qui peuvent. »

Le maintien au pouvoir pour un quatrième mandat de la chancelière Angela Merkel, qui peut compter sur les convictions européennes du président français Emmanuel Macron, a de quoi insuffler une dose d’espoir dans l’âme troublée de Joschka Fischer. Et de celles et ceux qui rejettent la fatalité de finir dévorés tout rond « par Shanghaï ou la Silicon Valley ».

La volonté de dépasser tout nationalisme étroit est certes à l’ordre du jour à Berlin comme à Paris. Ainsi les élites politiques des deux anciens ennemis héréditaires ont souligné, à l’occasion du 55e anniversaire du Traité d’amitié franco-allemand début 2018, leur volonté d’approfondir leur partenariat.

Dans la grande aventure humaine, les Européens apprennent ce que les Canadiens savent depuis longtemps : la logique du dominant-dominé à outrance est un cul-de-sac. Où le vassal peut aboutir en esclavage s’il ne défend pas pied à pied ses valeurs démocratiques. Canadiens et Européens? Même combat!