Par Bernard BOCQUEL
Ainsi donc il aura fallu un voyage en Louisiane voilà trois ans pour que les hauts responsables de Voyage Manitoba finissent par comprendre que la dimension francophone du Manitoba peut se traduire en dollars touristiques sonnants et trébuchants.
Churchill fait rêver grâce aux ours polaires et aux aurores boréales. Voilà que Saint-Boniface est désormais réputé pouvoir attirer les visiteurs en misant sur son patrimoine et la force de caractère qui en émane. Un pari que résume le slogan Passion & Histoire, dont la caractéristique principale que vantent ses concepteurs est d’être aisément déchiffrable par un anglophone un tantinet éduqué.
Il est un fait que tout visiteur qui arrive à Saint- Boniface, pour peu que la visite guidée soit bien pensée, sera frappé par la concentration d’édifices institutionnels qui rappellent la longue période où l’ex-Ville-Cathédrale était un haut-lieu de l’Église catholique et le bastion de la francophonie dans l’Ouest.
Cette double vocation ne devait bien sûr rien au hasard, puisque la mentalité canadienne-française, façonnée par la volonté de résister à la domination du Maître anglais, était le fruit du lien jugé inséparable entre la langue française et la religion catholique. De ce temps révolu, il reste une humble trace que les responsables de la voirie n’ont pas encore osé effacer.
Tout touriste un peu curieux, à condition de le diriger vers la rue Langevin, ne manquera pas d’être intrigué par le terre-plein qui sépare inutilement la chaussée entre le boulevard Provencher et l’avenue de la Cathédrale. Ces quelques pieds carrés symbolisent la jonction suprême entre la passion et l’histoire. Plus exactement, cette curiosité urbaine à la hauteur du parc Provencher raconte la nécessité d’une passion dévorante pour faire avancer l’Histoire dans le sens du refus de la domination aveugle et, à son plus beau, de l’ouverture sur l’universel.
Ce petit espace fleuri est en effet la dernière trace évocatrice du Collège des Jésuites qui fut détruit en 1922 par un incendie nocturne soupçonné d’origine criminelle qui coûta la vie à dix personnes. De l’imposant bâtiment, seule la petite cuisine attenante put être sauvée des flammes. De sanctuaire à la mémoire des disparus dans la tragédie, l’endroit devint un local scout dans les années de la Grande Dépression et abrita à partir de 1946 le poste privé CKSB. Bien que la bâtisse fut agrandie au fil des décennies jusqu’à faire disparaître l’ancienne cuisine et que les studios de la station ne soient plus dans l’édifice, le 607 rue Langevin garde valeur de symbole.
Dit autrement, quel touriste pas trop pressé refuserait de se laisser subjuguer par l’épopée de l’abbé Maurice Baudoux qui, par son inflexible détermination, a presque à lui seul changé le cours de l’Histoire du Manitoba français? Car il faut savoir que la venue au monde de CKSB a constitué un véritable tour de force, un quasi-miracle, un pied de nez aux Puissants. En deux mots comme en mille, le premier poste qui a diffusé en français à l’Ouest du Québec était une concession de guerre. Sans la Deuxième Guerre mondiale et les tensions liées à la conscription, un permis de diffusion n’aurait pas été accordé.
L’entrée en ondes de CKSB (SB pour Saint- Boniface) le dimanche 27 mai 1946 créa un formidable électrochoc positif dans les esprits. L’émerveillement initial était à la mesure du renoncement à l’avenir dans lequel la très large majorité de la population de langue française s’était enfermée. D’une journée à l’autre, le français prouva qu’il possédait encore une force d’attraction populaire. And the rest is History & Passion.
Dire que Voyage Manitoba a vu la lumière sur le potentiel touristique de Saint-Boniface en Louisiane. Une excursion sur la Langevin aurait pourtant suffi.