Par Bernard BOCQUEL

Mais quand le ver est-il donc rentré dans le fruit? Quels concours de circonstances ont fait que tant de résidents de la capitale du Manitoba cultivent une veine d’autodérision? Au point où on est en droit de se demander si le complexe d’infériorité latent des Canadiens n’aurait pas décidé de présenter sa variante la plus virulente à Winnipeg.

Il est vrai, le terrain est propice à l’autoflagellation expérimentale. À force d’hivers inévitables et de plaines jugées interminables, un Winnipégois saturé de divertissement à la sauce hollywodienne peut finir par penser que le sort s’acharne sur lui. Surtout qu’il sait bien que sa ville a été élevée au rang de repoussoir national. Réussir sa vie professionnelle au Canada n’est pas synonyme de déménager à Winnipeg pour faire carrière.

Alors quand enfin l’équipe locale membre de la Ligue nationale (nord-américaine) de hockey réussit une percée historique dans la longue et ardue bataille des séries éliminatoires, le monde de Winnipeg et des alentours ne s’est pas fait prier. Les gens ont pris un malin plaisir à montrer au reste du Canada et aux amateurs de hockey autour de la planète la vacuité des préjugés qui courent sur leur ville.

Par milliers, les supporteurs inconditionnels des Jets, comme les occasionnels et les tièdes, ont envahi à plusieurs reprises quelques rues du centre-ville pour devenir acteurs passionnés d’un coup de pub imbattable : le Whiteout. Un carnaval bon enfant version Winnipeg.

Chez tout humain des comportements en apparence contradictoires peuvent se côtoyer sans verser dans la schizophrénie. L’épisode glorieux des Jets a démontré que les Manitobains sont champions dans ce jeu d’équilibrisme mental. Ils sont autant capables d’un enthousiasme débordant d’espoir qu’ils peuvent se retourner contre eux-mêmes en se dénigrant.

Pour enfin être à l’aise dans leur peau de Canadien isolé à mi-chemin entre deux océans, il faudrait que les Winnipégois accordent leur pleine confiance à l’esprit du lieu. Depuis un bon quart de siècle, depuis la redécouverte de La Fourche, il est à nouveau évident que de tout temps les humains ont convergé vers le lieu où l’Assiniboine rencontre la Miscouisippi (la Rouge) avec l’envie de retrouver l’autre, les autres. L’esprit qui s’est incrusté au beau milieu de l’Ile de la Tortue/Turtle Island est une force qui invite à l’unification.

Une force qui par sa nature même ne s’impose pas. Une puissance qui cherche l’adhésion, non la confrontation. Une énergie aux antipodes de toutes les forces de séparation et de division à l’oeuvre dans toutes nos sociétés modernes et qui empêchent les Manitobains de se mettre en accord avec le pays qu’ils habitent.

Les élans d’affirmation qui se sont manifestés grâce aux prouesses sportives des Jets vaudraient de redonner une chance à la campagne Spirited Energy, lancée en 2006 par le gouvernement manitobain avec la bénédiction active du milieu des affaires. L’initiative avait pour but avoué de court-circuiter la mentalité négative des Manitobains en général et des Winnipégois en particulier vis-à-vis d’eux-mêmes. Les critiques –nombreux- avaient alors estimé le slogan vague et dépourvu de sens. Pourtant, il avait le mérite de montrer que la voie de l’esprit est une piste pour se sortir de l’ornière maladive de la self-deprecation.

L’épopée des Jets sonne comme un appel à reconnaître que l’énergie qui peut aider à guérir les Manitobains se nomme Esprit d’Unification. Il n’y a aucune raison pour que le ver qui s’est un jour glissé dans ce formidable fruit qui s’appelle Winnipeg, la pollue à tout jamais.