Procureur général du Manitoba de 1981 à 1987, Roland Penner, décédé le 31 mai, a été tout au long de sa vie un défenseur pionnier des droits humains, dont ceux des francophones du Manitoba. Roger Bilodeau, Roger Turenne et Léo Robert partagent quelques souvenirs et impressions de l’homme par qui la Crise linguistique du début des années 1980 est arrivée.

Par Daniel BAHUAUD

Novembre 1981. Les néo-démocrates de Howard Pawley sont élus. Le Premier ministre nomme Roland Penner procureur général.

Le soir des élections, le juriste et professeur de droit élu député de Fort Rouge n’imaginait pas qu’il allait défendre la minorité francophone. Pourtant, c’est ce qu’il allait faire.

La Cour suprême du Canada avait donné raison en 1979 à Georges Forest en déclarant que la Official Language Act de 1890, qui abolissait le français, était inconstitutionnelle. Dans la foulée, l’étudiant en droit Roger Bilodeau s’était employé à chercher à faire dire aux tribunaux que l’Article 23 avait bien force de loi. L’Article 23 de la Loi sur le Manitoba (1870) mettait le français et l’anglais sur le même niveau.

Roger Turenne était conseiller spécial pour les services en français au Manitoba : « On sentait qu’il allait y avoir un autre jugement de la Cour suprême. Je ne savais pas comment le nouveau gouvernement allait aborder l’Affaire Bilodeau, alors je suis allé voir Roland Penner. Au début, la question lui était plutôt indifférente. Mais après avoir consulté Dale Gibson, un constitutionaliste, il a mis sur pied un comité pour l’étudier. Il a assez vite conclu qu’il fallait agir, non seulement pour éviter de faire traduire toutes les lois manitobaines, mais parce qu’avant tout, It was the right thing to do.

« C’était du Roland Penner tout craché. Il a vu la justice de la cause. Il a vu les injustices qui prévalaient auparavant. Et il a embarqué de plain-pied, malgré les possibles conséquences. »

Et les conséquences ont été graves. Le gouvernement Pawley avait proposé arriver à une entente avec la Société franco-manitobaine et le Fédéral pour adopter un amendement constitutionnel qui garantirait plus de services aux francophones, en échange de la traduction de toutes les lois adoptées seulement en anglais depuis 1890.

Une approche qui a provoqué la Crise linguistique. Face à la vive opposition des progressistes-conservateurs de Sterling Lyon et d’un mouvement de Grassroots, le projet a politiquement échoué en février 1984.

Léo Robert était président de la SFM à l’époque : « Roland Penner avait une conscience sociale très aiguisée. C’était un homme sérieux, consciencieux. Quand il se prononçait, il était clair. Il n’était pas du genre à tergiverser.

« C’est dommage qu’il ait échoué, avec le gouvernement Pawley, dans son projet. Roland Penner avait une certaine naïveté politique. Il croyait que parce que la cause était juste, tous embarqueraient assez rapidement. Son gouvernement était plutôt naïf, lui aussi. Au lieu de souligner que le gouvernement redressait une injustice profonde, ignorée par les gouvernements depuis 1890, le NPD avait avancé l’argument financier aux opposants. L’amendement constitutionnel épargnerait de l’argent à la Province. Le résultat a été que les francophones étaient vus comme a special interest group qui venait quémander de l’argent de la bourse publique. Et non pas des citoyens qui ont des droits constitutionnels. ».

Roger Bilodeau a consulté Roland Penner durant les négociations. Aujourd’hui registraire à la Cour suprême du Canada, il évoque « un homme qui cherchait des solutions justes ».

« Ses visées étaient bonnes. Son approche était équitable et sensible. Il avait l’optimisme, voire même l’idéalisme d’un intellectuel issu du monde universitaire. Au fond, c’était un philosophe. Alors comme n’importe quelle personne qui fait le saut du monde des idées au monde politique, il a connu des chocs. L’exercice du pouvoir n’est jamais aussi simple qu’on peut le penser. Et on ne voit pas tous les écueils. »

Roger Turenne rappelle que « Roland Penner était prêt à risquer sa carrière politique ».

« C’était un grand ami, un proche collaborateur. Et je l’ai vu se faire huer lors des présentations publiques à Brandon et à Le Pas. Il s’est fait traiter de communiste à l’Assemblée législative. On l’avait vraiment avili. Mais Roland Penner a eu le courage d’appuyer les francophones face à une opposition féroce. Le projet a croulé, mais pas par manque de conviction de sa part. La situation était devenue tellement envenimée, tellement empoisonnée pour le NPD qu’il valait mieux qu’il s’en remette à la Cour suprême du Canada. Ce qui n’enlève rien à son courage, son honnêteté, et ses convictions. »


Le fair play de Roland Penner

Le politologue Raymond Hébert est professeur émérite de l’Université de Saint-Boniface et auteur du livre Manitoba’s French Language Crisis: A Cautionary Tale, paru en 1997.

« Je me suis entretenu longuement avec Roland Penner sur la Crise linguistique. De Penner, l’homme, j’ai la même réaction que bien d’autres. C’était un homme guidé par ses principes. Lors de la Crise linguistique, il n’a jamais fléchi, même sous l’énormité de la pression. Il était honorable et s’est battu très fort pour les droits de la minorité linguistique.

« Roland Penner avait aussi un sens du fair play et du respect pour la vérité historique. Lors de mes recherches, il m’a donné un accès total et inconditionnel à ses archives. Grâce à cet accès, j’ai même inclus une ou deux observations peu flatteuses à son sujet.

« Dans mon livre, je rappelle qu’à l’Assemblée législative, on lui avait demandé si le NPD n’encourageait pas des partisans et des gens favorables à la cause francophone de se présenter aux réunions publiques d’information. Il avait répondu que non. Ses archives prouvent le contraire. Pourtant, il ne me l’a jamais reproché. Et nous sommes restés de bons amis. »