Dès l’année suivant l’élection du Parti québécois en 1976, la fête nationale des Canadiens français a été promue officiellement « fête nationale du Québec ». Ainsi le 24 juin peut bien tomber sur un mardi ou un vendredi, la journée sera fériée et chômée au Québec.

Cette année, la Saint-Jean-Baptiste tombe sur un dimanche. L’occasion serait donc parfaite pour la diaspora québécoise au Manitoba de marquer en grand la Saint-Jean, à l’unisson de leurs familles. Mais les organisations du Manitoba français qui ont décidé de liguer leurs forces pour célébrer la vieille fête des Canayens ont opté de tenir des activités à Saint- Boniface le vendredi 22 juin.

L’objectif est de valoriser la francophonie manitobaine. Pourtant, sa diversité toujours plus célébrée exige de poser la question de la pertinence d’une fête destinée à instiller de la fierté aux descendants du groupe canadien-français.

Dans les textes courants qui racontent les origines de cette fête au Canada, qui remonte à 1834, on omet toujours de mentionner que l’impulsion a été donnée par les Irlandais. Dans le Canada colonial du 19e siècle, Anglais, Écossais, Irlandais et Canadiens disposaient de militants bien décidés à prouver que le groupe culturel/ethnique auquel ils étaient attachés constituait bel et bien une « nation ». Autrement dit qu’ils revendiquaient une existence politique, et donc le droit de se gouverner.

À ce temps-là, il était inconcevable qu’une nation ne se place pas sous la haute protection d’un saint. Le saint protecteur de l’Irlande étant saint Patrick, la première Saint-Patrick au pays a eu lieu à Montréal en mars 1834. Pour ne pas être en reste, les Anglais se sont empressés de mettre saint Georges à contribution quelques semaines plus tard. Un Canadien piqué au vif, Ludger Duvernay, a vite fait de réunir à Montréal le 24 juin quelques amis pour un banquet sous le patronage de Saint-Jean-Baptiste. Telles sont les dures exigences du nationalisme : il faut faire comme les autres, mais en mieux, pour asseoir une plus solide légitimité.

À la même époque à la Rivière-Rouge, les Métis, sous l’influence de leur évêque Norbert Provencher, priaient spécialement saint Joseph, le protecteur officiel de l’Église du Canada. De nationalisme, il n’en était pas question. Il faudra attendre la naissance du Manitoba en 1870 pour que le jeu politico-patriotique en vigueur dans l’Est vienne s’immiscer dans la vie d’ici. Une première Saint-Jean est organisée par l’élite canadienne-française le 24 juin 1871. Elle a donné lieu au classique mélange de célébration religieuse et de discours patriotiques.

Le journal Le Métis a résumé ainsi l’évènement téléguidé : « Que les rivages de la Rivière-Rouge soient témoins de notre vitalité et qu’ils redisent que nous aussi sommes et voulons rester canadiens-français. » Un message qui ne concernait pas les Métis du temps. Ni ceux d’aujourd’hui.

Au demeurant, ce message, qui est la raison d’être de la Saint-Jean, ne concerne en 2018 aucun autre groupe culturel qui tient à la bonne santé de la francophonie manitobaine. Dans les années 1970 à La Broquerie, où la Saint-Jean avait perduré comme tradition villageoise, les organisateurs ont commencé à parler de la « fête franco-manitobaine ». (1) De nos jours le qualificatif « franco-manitobain » fait débat au point où la Société franco-manitobaine s’est muée l’an dernier en Société de la francophonie manitobaine.

Les signes des temps sont clairs : d’accord pour une fête annuelle pensée pour saluer les potentialités du projet des bilingues manitobains. Mais solidement fondée sur des valeurs bien de notre 21e siècle, ouvert de nécessité sur le monde.


(1) À La Broquerie, où la Saint-Jean se maintient bon an mal an depuis plus d’un siècle avec divers ajustements, les festivités se dérouleront samedi 23 et dimanche 24 juin.