Par Bernard BOCQUEL

Après un long voyage de 1 600 milles, 72 portages et une soixantaine de demi-portages effectués entre le 19 mai et le 16 juillet 1818, l’abbé Provencher accompagné de deux autres missionnaires accostait à la Rivière-Rouge. Son premier geste fut de bénir l’attroupement d’un Pax vobis, puisque toutes les paroles ecclésiales importantes étaient prononcées en latin, au demeurant pour un autre siècle et demi.

Dans son livre sur Mgr Provencher et son temps, Donatien Frémont décrit ainsi la scène qu’Albert LeGatt, l’archevêque de Saint-Boniface, revivra symboliquement dimanche 15 juillet. « Le jeudi 16 juillet au matin, un Bois-Brûlé galopa autour de la colonie pour répandre la grande nouvelle. Les canots portant les missionnaires venaient d’être signalés remontant la rivière Rouge ; ils seraient au fort Douglas dans le cours de l’après-midi. La population attendait avec impatience ce jour depuis longtemps annoncé. À part quelques anciens Canadiens venus jeunes au Pays d’en haut, ces pauvres gens n’avaient jamais vu de prêtres. Aussi personne ne manqua à l’appel. » (1)

Ainsi commença l’oeuvre de Joseph Norbert Provencher, qui fit tout son possible pour enraciner dans l’Ouest la mission catholique à partir des terres à l’est de La Fourche ; terres que le maître théorique des lieux, Lord Selkirk, avaient concédées à l’Église. La Bible confie à l’humain la responsabilité de nommer les choses. Par humilité, le missionnaire venu du Bas Canada se plaça sous le patronage de saint Boniface, l’évangélisateur de la Germanie.

Le nom de Saint-Boniface fut longtemps surtout associé à la première paroisse dans ce qui deviendrait un jour l’Ouest canadien. Entre sa consécration comme évêque auxiliaire de Québec en 1822 et la décision de Rome d’en faire un évêque de plein droit, il s’écoula précisément un quart de siècle.

À l’autre bout du monde, le Vatican avait choisi le 4 juin 1847 de l’appeler « évêque du Nord-Ouest ». Cette désignation, qui lui parvint un an après, jour pour jour, n’eut pas l’heur de lui plaire. « Ce nom ne signifie rien ; ce n’est pas une place, mais un pays inconnu sous ce nom au loin. Ici même, par Nord-Ouest, on entend la compagnie du Nord-Ouest. J’aimerais mieux signer : évêque de Saint-Boniface (de la Rivière-Rouge, si vous voulez). C’est le nom de la cathédrale. » (2)

Le souhait du vieux missionnaire se réalisa en 1851, deux ans avant sa mort, lorsque son successeur, Alexandre Taché, fit un crochet par Rome après sa propre consécration épiscopale en France pour faire comprendre à quelque prélat la résonance que le nom de Saint-Boniface avait acquise. C’est donc comme évêque de Saint-Boniface que mourut Provencher le 7 juin 1853.

Quand la vie économique prit son élan après que la Colonie de la Rivière-Rouge devint province en 1870, des liens plus permanents étaient requis pour traverser la rivière Rouge. L’arrivée du chemin de fer à Saint-Boniface en 1878 (connexion avec les États-Unis) et du Canadien Pacifique à Winnipeg en 1881 (connexion avec l’Est) exigea la construction de ponts pour franchir la Rouge.

La compagnie de la Baie d’Hudson veilla à la mise en service en 1882 du pont Broadway pour tenter (en vain) de faire de Broadway une artère économique incontournable. Le pont Provencher, ouvert à la circulation en 1918, assura la connexion permanente la plus directe entre les villes de Saint-Boniface et de Winnipeg.

Le nouveau pont véhiculaire de 2003 s’appelle encore pont Provencher.

Le bicentenaire offre une occasion de reconnaître jusqu’au 22e siècle cette vérité que Provencher n’a pas travaillé pour pérenniser son nom. Le solide pont moderne qui enjambe la Rouge ne saurait mieux symboliser son héritage. Il faut appeler le pont Provencher pont de Saint-Boniface.

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(1) Monseigneur Provencher et son temps, publié en 1935 aux Éditions de La Liberté, 619 avenue Mc Dermot à Winnipeg.

(2) Ibidem, page 264.