Charlie Dilk a 22 ans. Il y a deux ans, il annonçait à sa famille qu’il se sentait homme, et non pas femme. Aujourd’hui homme transgenre engagé, il raconte, aux côtés de sa mère, Sylvie Dilk, leur cheminement en famille.

Par Morgane LEMÉE

«J’ai toujours su que j’étais un gars, très jeune. Quand je me regardais dans le miroir, je ne me voyais pas comme une fille, mais comme un homme. Quand je m’endormais le soir, j’espérais me réveiller comme un homme. Évidemment, ça ne fonctionnait pas. Les jouets, les vêtements, les cheveux courts. C’était plein de petites choses qui montraient ce que je voulais être.

«Mais les gens ne voyaient pas ce que je voulais dire. Moi non plus d’ailleurs. Je ne
connaissais pas le terme transgenre. Ne pas savoir qu’il y a des mots qui existent, c’est  ça qui était difficile. J’avais l’impression de ne pas être normal, qu’il y avait quelque chose de mal chez moi. »

En 2015, Charlie Dilk, alors encore dans la peau de Chloé, regarde en famille un épisode de l’émission télévisée Our America with Lisa Ling. À 19 ans, il découvre que veut dire « transgenre ». Tout de suite, intérieurement, il se dit : Ça, c’est moi! Mais là, il a trop peur de le dire à voix haute.

Après de nombreuses recherches et un temps de réflexion d’une année, Charlie Dilk est certain de qui il est profondément.  En 2016, il décide d’annoncer à sa famille qu’il y a « chose de différent chez lui ». Il lui faudra cependant encore plusieurs mois avant de leur évoquer le mot « transgenre ».

Pour sa mère, Sylvie Dilk, une question résonne plus que d’autres. « Est-ce qu’on a manqué un bateau? Est-ce-qu’il y a quelque chose qu’on aurait dû voir? Mon plus grand regret, c’est que Charlie ait eu à souffrir toutes ces années, seul, parcequ’on n’en savait pas assez sur la réalité transgenre. Quand un enfant s’en rend compte assez tôt, on peut l’aider face aux défis que la vie lui lance. À 20 ans, Charlie était déjà à l’université et établi dans la communauté. Faire tout ce cheminement à cet âge, c’est plus ardu. »

Il n’en reste pas moins que dans la famille Dilk, le dialogue est un maître-mot. « À la maison, on a toujours été très ouverts avec mon mari, Kevin, sur la diversité sexuelle. Charlie savait qu’on pouvait avoir cette discussion sans jugement. Quand il nous en a parlé, on n’a jamais eu peur. On avait juste besoin de comprendre.

On lui a posé beaucoup de questions et on s’est renseigné de notre côté. J’ai particulièrement apprécié que Charlie nous implique dans le choix de son nouveau prénom. Il nous a laissé nous exprimer aussi.

« Mais, au final, c’est sa vie. Il faut qu’il soit en contrôle de la vie qu’il choisit et qu’il fasse les choix qui reflètent son identité. Et nous, on l’a suivi. C’est ça notre rôle de parent. C’est d’accompagner nos enfants et non pas les contrôler, les faire nôtres. C’est leur donner la possibilité d’être qui ils veulent être. »

Comment l’annoncer aux gens? Sylvie Dilk souhaitait également que ce choix soit celui de Charlie. « Les deux premières questions qu’on lui a posées étaient : Comment peut-on t’aider? et Comment souhaites-tu qu’on en parle? Pour Kevin et moi, c’est important de parler de nos enfants. Comment on répond à la question : Comment vont les filles? Ma plus grande crainte était que les gens pensent qu’on n’en parle pas parce qu’on en a honte. On voulait en parler. Mais on voulait avoir la permission de Charlie et savoir comment lui voulait l’annoncer aux gens. » « Là, quand les gens me demandent : Comment vont les filles? je réponds : Maintenant, j’ai un fils et une fille. Et je continue comme si c’était banal. Si les gens posent des questions, j’y réponds. Mais je rectifie toujours, parce que je suis très fière de Charlie. Et ce n’est pas un sujet tabou. C’est notre réalité, c’est tout. »

Son père, Kevin Dilk, a rassuré Charlie dès le premier jour. « Mon père est venu me voir le soir de mon annonce et on a parlé pendant plus d’une heure. Il voulait tout savoir, s’assurer que toutes les démarches étaient sécuritaires, que j’allais être bien préparé et comment. Il m’a dit : Tout ce que je veux, c’est que tu sois en sécurité. On t’aime, peu importe. Savoir ça, c’était énorme pour moi. »

Certains parents témoignent d’une perte, d’un deuil, lors de la transition de leur enfant transgenre. Ce n’est pas le sentiment vécu par Sylvie Dilk. « Cette question de perdre un enfant, c’est en fait très court. On n’a pas vraiment perdu notre enfant. Ça ne change pas la personne qu’il est : une personne généreuse, responsable, respectueuse. Pour nous, ce sont des valeurs bien plus importantes qu’un prénom ou qu’un genre. »

Aujourd’hui, à 22 ans, Charlie Dilk se sent enfin libre et heureux. Son entourage l’a tout de suite vu plus épanoui, plus confiant. Co-président de l’Alliance allosexuelle de l’Université de Saint-Boniface, son crédo reste à l’image de ses valeurs familiales : dialogue et patience.

« Je ne peux pas forcer les gens à m’accepter. Mais je n’ai pas non plus à subir un nonrespect. Tout ce que je demande, c’est être heureux et respecté. Si quelqu’un ne m’accepte pas, ce n’est pas grave, je m’en vais. Je ne peux pas me fâcher contre les gens. Sinon, je serais fâché tout le temps contre tout le monde. Alors, je suis patient avec les gens. Je les écoute et j’essaie de comprendre leur point de vue aussi. Sinon, il n’y a pas de conversation. »


Une nouvelle naissance

Après avoir annoncé son changement d’identité à sa famille immédiate, sa petite amie et ses amis, il fallait que Charlie Dilk l’annonce au reste de ses proches. Avec ses parents, ils ont décidé d’envoyer un faire-part de naissance à toute la famille, en France et au Canada.

Sylvie Dilk raconte : « On a écrit quelque chose comme : Dame Nature nous a trompés, on a eu un garçon et non pas une fille. Il s’appelle Charlie, son pronom est il, et nous en sommes très fiers. » On ne voulait pas imposer la confrontation physique aux gens, et à nous non plus. On a aussi invité tout le monde à poser des questions directement à Charlie, que la discussion passe par lui, pas forcément par nous.


La question des hormones

Quelques mois après son coming-out, Charlie a commencé le traitement hormonal. « Je voulais ces transformations : la voix, la barbe, la mastectomie. Ma poitrine était ce qui provoquait le plus de dysphorie chez moi. Je me sentais tellement mal dans ma peau. Je me cachais sous des couches de vêtements. Cette opération m’a libéré. »

« Chacun fait ses choix dans sa transition. Certaines personnes pensent que si on ne fait pas certains changements physiques, on n’est pas transgenre. C’est faux. Une personne se définit transgenre en fonction de comment il ou elle se sent par rapport à son sexe et son genre de naissance. Ce n’est la décision de personne d’autre qu’eux-mêmes de se définir transgenre ou non. »

Son traitement hormonal, c’est pour la vie. Enfin, en théorie. « Je veux avoir des enfants. Je peux être capable de le faire, mais pour ça, il faudra arrêter mon traitement de testostérone et prendre des oestrogènes pour pouvoir porter un enfant. C’est quelque chose que je suis prêt à faire. Je suis conscient que les hormones causent des dommages au foie, et qui peut réduire la durée de vie. »