Pour Ginette Poulin, médecin spécialiste de la toxicomanie et directrice médicale pour la Fondation manitobaine de lutte contre les dépendances (AFM), la dépénalisation du cannabis permet avant tout de sensibiliser la jeunesse, qui doit être consciente des risques. Comme pour l’alcool.

Par Léo Gautret (collaboration spéciale)

Léo Gautret : Comment percevez-vous cette légalisation?

Ginette Poulin : C’est le genre de décision qui n’est jamais facile à prendre. Il y a toujours les bénéfices d’un côté et des problèmes de l’autre. La décriminalisation va permettre aux consommateurs de se sentir plus intégrés dans la société. Il y a beaucoup de mes patients qui, à cause de leur dépendance, vont avoir une histoire criminelle qui va être une barrière dans leurs recherches d’un emploi. Mais d’un autre côté, les consommateurs pourront prendre de la marijuana légalement sans avoir à consulter un médecin.

L. G. : De votre point de vue de médecin, le cannabis est-il mauvais pour la santé?

G. P. : Je pense qu’il faut surtout considérer les risques avant de prendre la décision d’en consommer. Comme pour n’importe quelle substance, il faut s’éduquer. Cette légalisation permet d’ouvrir la réflexion sur les conséquences et de mieux lutter contre la surconsommation et la mauvaise consommation. C’est un processus qui prendra beaucoup de temps, de discussions.

L. G. : Concrètement, quels sont les risques liés à cette consommation?

G. P. : Les effets dépendent de la concentration du produit et de la fréquence de sa consommation. L’utilisation régulière modifie le comportement au niveau de l’humeur et peut entrainer des psychoses, des hallucinations, des schizophrénies. D’autres syndromes peuvent aussi apparaître. Comme la gynécomastie, qui entraîne l’apparition de seins chez l’homme. Ou le syndromecannabinoid hyperemesis, qui provoque des nausées quotidiennes, qui ne peuvent être soulagées que par des douches chaudes.

L. G. : Les jeunes sont les plus grands consommateurs de cannabis…

G. P. : Oui c’est un fait, le cannabis touche plus les jeunes. Nos statistiques nous disent que 71 % des jeunes de moins de 18 ans vont choisir le cannabis, alors que 68 % des plus de 18 ans choisissent l’alcool.

L. G. : Les jeunes sont aussi les plus vulnérables…

G. P. : En effet, quand on examine les recherches, on voit que le cerveau finit de se développer à 25 ans. Donc la consommation de cannabis peut affecter ce développement. Elle peut nuire aux décisions, aux réflexions, aux jugements.

L. G. : En quoi la légalisation permettra-t-elle de protéger les jeunes des méfaits de cette substance?

G. P. : Grâce aux contrôles et aux limites des quantités de THC (1) et autres cannabinoïdes. Ces dispositions permettront de réduire les risques sanitaires. Aujourd’hui, on trouve des variétés de cannabis qui contiennent jusqu’à plus de 30 % de THC. Alors que dans les années 1970 et 1980, ce pourcentage se situait entre 1,5 et 3,5 %. D’un point de vue médical, il faudrait réduire ce taux à moins de 1 %.

L. G. : Cette loi est donc une avancée dans la lutte contre les addictions?

G. P. : En tout cas, elle soulève l’opportunité de vraiment discuter de l’usage du cannabis. Quand le gouvernement fédéral a pris sa décision, beaucoup d’organisations comme l’AFM ont donné leur opinion, ont été consultés sur tous les aspects de cette légalisation. De l’aspect médical jusqu’au marketing et à la vente. La Province nous a aussi consultés pour savoir quelles doses de THC et de cannabinoïdes devrait être présentes. La qualité du produit sera contrôlée, c’est un très bon point.

L. G. : Cette légalisation permet donc d’ouvrir sérieusement le débat autour du cannabis…

G. P. : C’est l’un des objectifs. Pour moi qui suis du milieu médical, je trouve très important qu’on éduque la population en général, mais surtout les jeunes tentés par l’expérience. Il est important de leur faire prendre conscience des conséquences, des bienfaits comme des méfaits liés à cette consommation. Si on n’en parle pas, comment pourraient-ils savoir? Un parallèle est à faire avec la consommation d’alcool. Il faut en parler pour faire prendre conscience des risques.

(1) Le THC ou tétrahydrocannabinol est le principe actif contenu dans le cannabis. Plus sa dose est élevée et plus les effets psychoactifs sont importants. À l’état naturel, la concentration se situe entre 0,5 et 5 %.