Entre la révision et la réalisation, deux élections fédérales

Jean-Pierre Dubé (Francopresse)

Deux ans après s’être engagé, Ottawa lance sa révision du Règlement sur les langues officielles et annonce pour 2023 une hausse de 6 % du nombre de bureaux désignés bilingues. Ce projet conçu pour renforcer « les communications avec le public et prestations des services » sera modulé d’après les données du Recensement de 2021 « selon la proportion de la population locale de langue officielle ».

Le projet de règlement présenté le 25 octobre par les ministres Scott Brison (Conseil du Trésor) et Mélanie Joly (Langues officielles) offrirait à 100 000 Canadiens de plus l’accès aux services fédéraux dans leur langue. La mesure s’appliquerait également aux bureaux de Service Canada ainsi qu’aux gares et aéroports des capitales provinciales.

« Les Canadiens ont été clairs, souligne le ministre Brison, le Règlement doit favoriser la vitalité de nos communautés en situation minoritaire. » Les changements proposés garantiront de consulter les communautés et d’offrir des services « là où on en a besoin ».

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada applaudit. « Pour la première fois en 27 ans, affirme le président Jean Johnson, le gouvernement a modernisé les règles qui déterminent où les gens peuvent être servis en français par les institutions fédérales. Le résultat est plus généreux et inclusif. C’est une excellente nouvelle. »

L’ajout d’environ 240 nouveaux services

Le Règlement changera le calcul utilisé pour définir la demande importante, précise le président, « pour inclure aussi les familles bilingues, les immigrants et les anglophones qui vivent en français ».

La révision proposée « touche pas mal à tout », estime le professeur de droit Pierre Foucher, de l’Université d’Ottawa. « C’est grand temps qu’on change comment on compte les francophones. »

Le constitutionnaliste apprécie en particulier les exigences de bilinguisme pour les capitales même celles où le pourcentage de demandeurs ne le justifie pas. « J’aimerais aussi qu’on regarde davantage les patrouilles de la GRC sur la transcanadienne. »

Le Canada compte présentement 3900 bureaux désignés bilingues. Une hausse de 6 % correspondrait à l’ajout d’environ 240 nouveaux services, au coût de 70 millions.

Une dernière chance de commenter la révision

D’autres étapes restent à franchir avant la mise en œuvre du projet, selon Ottawa. « Les modifications proposées seront publiées dans la Gazette du Canada afin que les groupes intéressés et tous les Canadiens puissent avoir une chance de commenter le projet de règlement avant sa promulgation. »

Le ministre Brison a insisté sur « la nécessité de bien faire les choses » et de fonder les décisions « sur des données les plus à jour possible ». Or les données de Statistique Canada ne seront disponibles que l’année suivant le recensement de 2021. Le début de la mise en œuvre du Règlement devra attendre.

Modifier un règlement peut se faire rapidement, soutient Pierre Foucher, puisque le processus appartient à l’exécutif du gouvernement. L’attente de cinq ans avant son application le laisse perplexe, mais il y voit un avantage en cas de changement de gouvernement.

« Si le règlement est passé, ça crée une espèce de protection. Ce serait plus délicat de le changer pour un autre gouvernement qui arriverait au pouvoir. »

Un 2e rapport du Sénat sur la modernisation

L’annonce des ministres Joly et Brison survient alors que le gouvernement de Justin Trudeau est déjà critiqué pour une promesse de moderniser la Loi sur les langues officielles qui ne débutera qu’après le scrutin d’octobre 2019. Le Canada tiendra en principe deux élections fédérales d’ici la fin de 2023.

L’annonce sur le Règlement est survenue le même jour que la publication, par le Comité des langues officielles du Sénat, d’un 2e rapport d’étape sur la modernisation de la Loi. Le Comité a entamé en 2017 une étude pancanadienne en cinq étapes afin de produire un rapport final d’ici la fin juin 2019.

Ce rapport provisoire a permis au Comité présidé par René Cormier d’entendre 43 groupes et particuliers des communautés de langue officielle.

« Ces communautés ont mis un accent sur les mesures à prendre pour favoriser leur épanouissement et appuyer leur développement, précise l’étude. Or, loin de se limiter à la simple mise en œuvre de la partie VII, ce 2e rapport contient des propositions réfléchies sur son application. »

L’ajout d’un droit à des services de santé

Les mémoires ont porté notamment sur ces revendications :

  • une obligation fédérale de consulter les communautés sur ce qui les concerne ;
  • l’extension du droit à l’éducation, du préscolaire au postsecondaire ;
  • l’ajout du droit à des services de santé, en français ou en anglais ;
  • une définition des « mesures positives » de la Partie VII ;
  • une obligation des ministères et agences d’annoncer dans les médias communautaires ;
  • la désignation de l’Est ontarien et de la Péninsule acadienne parmi les régions à majorité francophone ;
  • la reconnaissance des Métis francophones ;
  • la participation des municipalités dans les transferts aux provinces et territoires ;
  • l’identification d’une agence centrale pour la coordination de l’application de la loi ;
  • une augmentation des pouvoirs juridiques du commissaire aux langues officielles.

Pierre Foucher aimerait voir l’énumération d’une série de réparations. « Il y a de bonnes idées, mais la grande difficulté est l’absence de mécanisme efficace de mise en œuvre. Le but de la Loi n’est toujours pas atteint. »