Par Michel LAGACÉ
À chaque fois qu’on s’apprête à fermer le cercueil sur le cadavre de la culture franco-acadienne de Louisiane, le corps se lève et demande une autre bière. » (1) Zachary Richard répondait ainsi à ceux qui, de loin, s’imaginent que le français est mort en Louisiane. Trop souvent, des commentateurs québécois qui ne connaissent pas leur propre pays s’imaginent que le français est sur son lit de mort à l’extérieur du Québec. Leur raisonnement est simple et simpliste : puisque le nombre de parlants français est faible par rapport à l’ensemble de la population, et compte tenu des effets de l’assimilation, ce n’est qu’une question de temps avant que le français ne disparaisse à l’extérieur de la mère-patrie en Amérique du Nord, le Québec.
Cette logique pourrait également s’appliquer au Québec, puisque justement les locuteurs francophones de cette province ne sont qu’une infime minorité en Amérique du Nord. Et, dans certains milieux, l’assimilation et l’immigration sont perçues comme des menaces. Vu de l’extérieur, comme dirait Céline Galipeau, l’animatrice du Téléjournal de Radio-Canada, on aurait l’impression que le français devient folklorique au Québec, un combat perdu d’avance. D’ailleurs, certains anxieux s’inquiètent depuis longtemps de la disparition du français à Montréal.
Mais pourquoi est-ce que le français refuse de mourir 179 ans après que Lord Durham a souhaité sa disparition? La réponse ne se trouve manifestement pas dans les nombres. En réalité, toutes les civilisations humaines que nous connaissons mènent à une autre conclusion : les anciens Grecs, Romains et Chinois et tant d’autres civilisations vivent encore aujourd’hui parce qu’elles nous ont légué des oeuvres qui transcendent le temps et l’espace.
Si le Québec fait preuve de vitalité, c’est qu’il a trouvé lui aussi sa place dans notre imaginaire. Il rayonne au-delà de ses frontières par la voix de ses artistes, de ses écrivains, de ses peintres et de ses musiciens. De Félix Leclerc à Céline Dion (quoiqu’on puisse en penser), d’Émile Nelligan à Marie-Claire Blais et Anne Hébert, ses artistes ont fait leur marque. De la même manière, Gabrielle Roy et Daniel Lavoie ont dépassé leurs origines manitobaines pour rejoindre un public beaucoup plus grand.
Quand le français va-t-il disparaître? Il va disparaître quand il va cesser d’être le véhicule de créations dont la puissance évocatrice exprime ce qu’est l’esprit humain. À ce moment-là, la langue ne vivra plus, et la question ne se posera plus. Entre-temps, ceux et celles qui sont interpellés par tout ce que le français leur permet d’inventer, d’exprimer, d’éprouver et de vivre pourraient se soutenir réciproquement plutôt que de prédire la mort de l’un ou de l’autre.
(1) Entrevue accordée à l’émission Gravel le matin de Radio-Canada, le 1er novembre 2018..