L’auteure franco-manitobaine Simone Chaput, publie son dixième roman, Les derniers dieux, aux Éditions du Blé. Cette année souligne sa 35e année d’écriture. Le point sur l’oeuvre de la Saint-Bonifacienne. (1)
Par Morgane LEMÉE
Dans votre nouveau roman, Les derniers dieux, vous vous attaquez aux mythes grecs…
« J’ai toujours voulu écrire une version moderne d’un ancien mythe grec. Ce qui m’intéresse, ce sont les thèmes, les personnages et leurs conflits qui sont éternels et universels. Plus exactement, explorer les résonnances du mythe à la lumière du 21e siècle. Tirésias m’a toujours fascinée. Qu’est-ce que ce personnage pourrait représenter aujourd’hui? »
Alors, à quoi peut-on s’attendre?
« Tirésias a beaucoup été puni par les dieux, mais il a aussi beaucoup reçu de dons, comme une très longue vie, la divination. Le transformer en femme devait être vécu comme une punition, mais il a gagné tout un savoir, une sensibilité, une deuxième âme, comme il le dit. On lui a donné le pouvoir surnaturel de conserver son esprit dans le royaume des morts. Beaucoup de choses qui représentent pour moi la figure même de l’artiste, de l’écrivain en particulier. Pour moi, le roman, petit à petit, devient le manifeste d’un écrivain. »
Reprendre un mythe grec n’est tout de même pas une mince affaire…
« C’est très ambitieux de s’accaparer d’un ancien mythe qui a fait ses preuves au cours de 2 000 ans. Je pense qu’il fallait bien que j’attende mon dixième livre pour l’aborder. Par rapport à mes romans plus récents, j’ai utilisé une méthode assez conventionnelle, linéaire, chronologique. Ça rappelle d’ailleurs mes premiers livres. C’était plus une question d’avoir le courage d’entreprendre ce sujet. Il me fallait une certaine audace. »
Combien de temps cela vous a-t-il pris?
« L’écriture de ce livre s’est passée assez rapidement : environ un an. Il faut savoir que je l’ai terminé en 2012. En février de cette année, j’avais fini d’écrire Un vent prodigue, qui a été publié à Montréal. J’ai attendu septembre pour proposer Les derniers dieux à mon éditrice. Elle était très mal à l’aise avec toute cette question de sexualité dans le livre, en me disant que mon lectorat au Québec ne me connaissait pas assez. Elle préférait attendre. Mais moi, je ne voulais pas attendre. Alors, je l’ai proposé aux Éditions du Blé. »
Après l’audace, le courage, comment vous sentez-vous par rapport à ce roman?
« Pour moi, l’écriture est toujours une exploration. Quand je commence un roman, je ne sais jamais où je m’en vais. C’est à partir d’une image, d’une seule petite idée. Je me lance dans un roman comme on se jette à l’eau. Je suis plutôt satisfaite de la conclusion de cette histoire. Au 19e siècle, la figure de la mythologie que l’on a choisie pour représenter le monde moderne était Ulysse. Au 20e siècle, c’était Prométhée. Moi, je dis que la figure qui représente peut-être le 21e siècle pourrait être Tirésias. »
Chaque artiste a son thème, cet élan qui pousse à revenir à l’écriture… Le vôtre, serait-ce l’artiste lui-même?
« Je pense que oui. Je m’en suis rendue compte après un certain nombre de romans. Ce qui revenait souvent, c’était la figure de l’artiste. Un jour, l’écrivaine de renommée Carol Shields a dit : Tous les écrivains veulent créer des personnages qui sont écrivains. Je suis complètement d’accord avec elle. Je suis fascinée par cette figure, l’espace entre les idées et la page blanche. En fait, c’est fascinant parce que je me l’explique mal. Même au bout de tant d’années d’écriture, j’aurais bien du mal à vous expliquer comment se bâtit un roman. C’est subliminal. »
Que se passe-t-il dans ces moments-là?
« Je fais beaucoup confiance à la langue. C’est un acte de foi. Ce n’est jamais prévu d’avance. C’est ça que j’aime dans l’écriture : l’imprévu. Ce que je vais découvrir au détour d’une phrase. Je sais maintenant que c’est la parole qui engendre. C’est la langue qui va me permettre de découvrir plein de choses. »
Et la langue, en anglais ou en français, ça change beaucoup de choses…
« Bien sûr. L’anglais est une langue qui se prête bien à la métaphore, c’est une langue sensorielle. Ça s’écrit facilement. Le français est beaucoup plus difficile d’accès. C’est l’attrait pour moi. C’est une langue tellement belle, nuancée, cérébrale. C’est ma langue maternelle, c’est pour ça que je m’y plais tant. C’est aussi pour ça que je n’écrirai plus jamais en anglais. Je suis très contente d’avoir écrit deux romans en anglais. Mais j’avais l’impression de les traduire quand je les écrivais. »
Votre envie d’écriture, d’exploration, est-elle inépuisable?
« Je ne sais pas. J’ai toujours dit que mon dixième livre serait mon dernier. J’en ai commencé un autre, j’ai 70 pages. Mais j’ai perdu ma mère en décembre 2017. Elle avait 97 ans, c’est beau. C’était ma plus grande fan. Elle m’appuyait, elle me soutenait. Les derniers dieux, c’est le premier livre qu’elle ne verra jamais. Et ça me fait mal au coeur. Alors, franchement, je ne sais pas si je vais finir le livre que j’ai en cours. »
(1) Simone Chaput présentera son dernier roman au second Salon de Gabrielle à la Maison Gabrielle- Roy, le jeudi 22 novembre à 19 h. Prix d’entrée : 10 $ (grand public) et 5 $ (étudiant).
Les dix livres de Simone Chaput
La vigne amère (roman), Les Éditions du Blé, Saint- Boniface (MB), 1989
Un piano dans le noir (roman), Les Éditions du Blé, Saint-Boniface (MB), 1991
Le coulonneux(roman), Les Éditions du Blé, Saint- Boniface (MB), 1998
Incidents de parcours (nouvelles), Les Éditions du Blé, Saint-Boniface (MB), 2000
La vigne amère (roman), 2e édition revue et corrigée, collection Blé en poche, Les Éditions du Blé, Saint- Boniface (MB), 2004
Santiago (roman en langue anglaise), Turnstone Press, Winnipeg (MB), 2004
A Possible Life (roman en langue anglaise), Turnstone Press, Winnipeg (MB), 2007
La belle ordure (roman), Les Éditions du Blé, Saint- Boniface (MB), 2010
Un piano dans le noir (roman), 2e édition revue et corrigée, collection Blé en poche, Les Éditions du Blé, Saint-Boniface (MB), 2011
Un vent prodigue (roman), Leméac Éditeur, Montréal (QC), 2013
Une terrasse en mai (roman), Leméac Éditeur, Montréal (QC), 2017
Les derniers dieux(roman), Les Éditions du Blé, Saint- Boniface (MB), 2018