À l’âge de deux ans et demi, Nicholas Trudel a été diagnostiqué avec un trouble du spectre de l’autisme. Au fil des années, il a appris à manier différentes techniques d’art avec finesse et légèreté. Sa passion lui permet d’échapper aux angoisses de la vie quotidienne.
Par Marie BERCKVENS
Le temps d’une après-midi à la mi-novembre, la maison de Nicholas Trudel s’est transformée en une vraie galerie d’art. Tout avait été minutieusement préparé par l’artiste et sa mère Denise Cochingyan.
Pour cette première exposition, l’artiste a exposé plus de 30 oeuvres, dont certaines datent de son plus jeune âge. Denise Cochingyan raconte : « À cinq ans, Nicholas a commencé à dessiner sur des grandes feuilles de papier. Il esquissait des bâtiments, des personnes, comme des armées de soldats. Il y avait l’armée grecque ou encore l’armée romaine, avec tous les détails d’armures, d’armes, de costumes propres à cette période historique. »
Denise Cochingyan a préservé soigneusement ces dessins d’enfance. Très motivée, elle a récemment fait appel à une technique pour que ce travail puisse être mis en valeur. «J’adore la précision du tracé de Nicholas. J’ai essayé de reproduire ses lignes mais je n’y arrivais pas vraiment. Et pourtant, j’ai une certaine pratique de la peinture. »
Autodidacte, le talent du jeune homme de bientôt 25 ans est naturel, inné, pur et sans fioritures. À l’image de sa personnalité. « Quand on est avec Nicholas, on se trouve en présence de l’honnêteté en personne. Il n’y a aucune prétention en lui, aucun souci de paraître. Quand je reviens du travail, il est comme une bouffée d’air frais. Il manifeste de la bonne volonté pour tout le monde. Il est réel. Comme son art. Vraiment, son art, c’est tout lui. »
Grâce à l’analyse appliquée du comportement (1) pratiquée dès son diagnostic d’autisme, Nicholas Trudel a augmenté ses habiletés langagières. Il s’exprime aujourd’hui facilement en anglais et en français : « Je me souviens que j’avais des difficultés à maintenir un contact visuel. Les changements de routine, c’est toujours dur pour moi. Et cela reste compliqué parfois de parler à certaines personnes. »
Son art, c’est à la fois sa présence au monde et son exutoire, une façon d’échapper au stress de l’immédiateté, au flux des actualités télévisées qui devenaient trop stressantes et qu’il a décidé de ne plus regarder. Un moyen aussi de passer au-dessus des brimades et des vexations qu’il a pu subir lorsqu’il était jeune. « À l’école élémentaire, c’était difficile d’apprendre et de comprendre les autres. Même chose à l’école secondaire. J’ai subi du bullying. C’était dur de maintenir des amitiés. » Denise Cochingyan tient à souligner le côté positif de ces mésaventures : « Mais ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Et de toute façon, c’est du passé. »
Pour transcender ces épreuves, Nicholas a trouvé un support auprès de sa famille, ses parents mais aussi ses deux frères, Jacques et Éric, ainsi qu’auprès d’autres personnalités qui ont fait de leur différence une force, comme l’astrophysicien Stephen Hawking, Mikhaela Ackerman(2) ou encore Tyler McNamer (3).
Le jeune adulte poursuit sa progression. Passionné par la politique et l’histoire, il n’a aucun mal, pour donner un petit exemple, à dresser la liste de tous les pays qui terminent en –stan (Kazakstan, Ouzbékistan, le Turkménistan, Kirghizistan, Tadjikistan) dont on parle si peu dans l’actualité.
Après avoir fréquenté le programme alternatif du Collège Louis-Riel, qui a désormais pris fin (voir en page 8), Nicholas Trudel a été embauché à temps partiel comme commis à la clientèle dans un magasin d’alimentation : « Il y a un double défi que je dois affronter : parfois les gens pensent que je suis un gars normal. Mais beaucoup de gens ne réalisent pas que je suis atteint par un trouble du spectre de l’autisme. C’est un défi que je dois affronter. »
Denise Cochingyan apporte sa perspective : « La difficulté de Nicholas, c’est que son trouble est invisible. Le monde s’attend à ce qu’il comprenne tout, mais il ne faut pas parler trop vite avec lui. Des fois, les gens se fâchent contre lui. Les difficultés, les malentendus et les incompréhensions qui lui viennent de cette invisibilité, ça lui cause beaucoup d’anxiété. Nicholas est à l’âge où il comprend la vulnérabilité. Il est très sensible aux injustices.
« Il manifeste de la bonne volonté pour tout le monde. Pour moi, son attitude montre que c’est une bonne chose que le fort puisse comprendre le faible. Dans nos vies, cette complémentarité est une richesse pour le fort comme pour le faible, il faut vraiment comprendre que l’autisme n’est pas une maladie, mais bien une autre façon d’être. »
(1) Voir l’entrevue avec Geneviève Roy-Wsiaki, dans La Liberté du 21 au 27 novembre 2018.
(2) Son histoire est à l’origine du blog Edge of the Playground (edgeoftheplayground.com). Mikhaela Ackerman est atteinte d’un trouble du spectre de l’autisme. Elle exerce une profession mais elle ne peut pas reconnaître les visages. Alors, elle doit mémoriser d’autres caractéristiques comme la coupe de cheveux, les bijoux…
(3) Diagnostiqué avec un trouble du spectre de l’autisme, Tyler McNamer a écrit un livre sur son histoire, intitulé Population One.
L’angle de vue de Donald Trudel
En 2002, Donald Trudel est devenu directeur de l’Institut collégial de Saint-Pierre. En 2008, le papa de Nicholas a fait le choix de suivre son fils au Collège Louis-Riel, comme enseignant dans le programme alternatif. « C’était important pour moi. C’est quelque chose que je pouvais faire pour mon jeune. Ça me permettait de faire du débriefing avec lui, de l’encourager, tout en continuant à suivre les autres élèves. Je voulais l’épauler à travers un temps déjà pas facile pour certains jeunes, et pour Nicholas en particulier.
« Ce programme alternatif avait pour objectif de former l’élève pour un emploi. Pour certains, c’est dans cette classe qu’ils se sentaient beaucoup mieux. Nicholas en faisait partie. Il était beaucoup mieux dans l’expérience préparatoire au travail que dans une salle de classe conventionnelle. »
Ce rôle bicéphale (papa-enseignant) lui a permis de mieux l’aider, l’aiguiller, le guider et le connaitre davantage. Mais le soir venu, Donald Trudel mettait un point d’honneur à redevenir seulement le papa. « Après les cours, je devenais à nouveau son papa, pas son prof, mais en disposant de plus d’information sur ce qu’il vivait. Je pouvais avoir des discussions avec lui, je pouvais l’encourager, l’aider à trouver un sens à ce qu’il vivait. C’est mon rôle de papa, de toute façon, prof ou pas prof. »
Durant la classe de sciences, Donald Trudel se souvient que son fils-élève manifestait beaucoup d’anxiété quand on abordait certains sujets. « Par exemple, j’enseignais l’effet de serre et le réchauffement de la planète. Ça le stressait, car il pensait que ce processus pouvait avoir demain de grandes conséquences. Je remettais le problème en perspective, je lui disais que cela prenait un certain temps et qu’il ne fallait pas trop s’énerver. Mon rôle comme papa, c’est de remettre en perspective, d’encadrer. »
Il souligne qu’avoir eu Nicholas dans sa classe a changé sa vision de l’éducation. « Il m’a appris à être un meilleur prof. Pas juste pour lui, mais pour tous les élèves. J’ai appris à regarder ce qui était spécial chez eux. J’étais toujours ouvert à mes élèves, mais ça m’a poussé à aller plus loin. À chaque fois, j’essayais de voir les forces de chacun. » Une mission qu’il continue d’exercer dans sa fonction actuelle d’orienteur à l’Université de Saint- Boniface.
Donald Trudel encourage toujours son fils à sortir de sa zone de confort. Récemment, sous l’impulsion de son père, l’artiste a commencé à jouer aux quilles dans un groupe avec des personnes qui ont des besoins spéciaux. « On essaye de l’exposer à des personnes différentes, pour lui apprendre qu’il peut enseigner des choses à d’autres et aussi apprendre d’autres personnes. On lui montre aussi des Ted Talks, des sujets qui viennent lui apporter une différente perspective.»