Les malheurs de Sophie

Par Sophie Bouchard-Tremblay

1936,

Un couloir exigu au bout duquel les sons se terrent : c’est ma gorge.

J’aurais voulu proclamer les plus beaux vers du théâtre classique, que la voix de Racine résonne dans toutes les pièces de la maison. Je me voyais déjà habitée de la même prestance que Sarah Bernhardt, de la même fureur. Mais ma langue n’est qu’une traître et ce ne serait qu’une offense aux belles lettres.

Je parcours du doigt les trésors de ma bibliothèque. Il me semble qu’un seul livre s’impose à ma vue. Voilà encore la comtesse de Ségur qui me fait un pied de nez. Elle qui me nargue à titre posthume : Sophie ne fait que des sottises. J’ai pourtant appris à bien me tenir. La sagesse n’est-elle pas la vertu implicite de ce prénom? Selon les grecs, du moins.

La quiétude peine à prendre sa place. Le bruissement d’une soutane me hante encore : un flottement. Je les entends qui s’approchent. Leurs pas, de plus en plus lourds, me font penser au rythme d’un tambour de guerre. Ils se tiennent au garde-à-vous, toujours prêts à m’affronter :

– Comment t’appelles-tu?

Avec la plus ridicule peine, ma langue fourchue de répondre :

– Je m’appelle Fofie Favard.

Un bombardement de rires cruels s’abats sur mon corps de jeune fille.

Ma gorge brûlée.

Les années ont bel et bien passé, et pourtant cette même honte me pèse. Je ne suis plus cette enfant désincarnée. Je suis autre. Sophie me toise dans la glace. J’observe ses mains maintenant adultes. Ses longs doigts d’artiste qui veulent créer, modeler, construire.

Je veux être.

– JE M’APPELLE LAURENCE.

***

Saint-Valentin

Par Yvan Lécuyer

Je cours dans le couloir blanc. J’arrête, seul, sauf une tuque rouge au sol et l’odeur des petites bottes qui ont bien joué durant la récréation. Je crie à mon maximum :

– Je ne t’aime plus. Est ce que tu m’aimes? Réponds-moi! Non. Je ne t’aime plus.

Silence, elle me regarde avec un petit sourire doux comme une maman.

– Yvan, merci pour ta carte de Saint-Valentin. C’est un beau geste. C’est un peu compliqué les émotions. Rentre en classe, les élèves m’attendent. Après l’école, on s’en reparle.

– Oui, madame Dumaine.

Silence, sourire.